6 août [1837], dimanche après-midi, 4 h. ¼
Je t’écris en toute hâte, mon bien-aimé, parce que je veux prendre mon bain tout de suite. Je souffre d’une manière inquiétante pour notre voyage. Je vais essayer du bain. Je ne sais pas ce que je ferais pour être en état de jouir du bénéfice de notre voyage dans toute son étendue. Vous m’avez joliment attrapéea cette nuit vieux Toto et c’était fièrement gentil. Vous devriez m’attraper toujours comme cela. Je vous en aimerais joliment plus si je pouvais vous aimer plus.
Voici Mme Pierceau qui m’apporte un verre à anse. Vraiment cette pauvre bonne femme me gâte. Je ne la mérite guère ni vous non plus. Tout cela me retarde. Il faut cependant que je me dépêche. Je devrais bien abréger mes mamours [1] avec vous puisque vous ne les lisez plus. Hum… Si je n’avais pas tant de plaisir à vous les écrire, même vous ne les lisant pas, je les supprimerais tout d’un coup. Venez de bonne heure vieux sournois et apportez-moi un brin d’herbe de votre villa pour me faire voir que vous avez pensé à moi. Et puis je vous baise des pieds aux mains et généralementb tout ce qui peut se baiser y compris la fameuse lettre de l’alphabet [2]. Vous savez d’ailleurs que j’ai besoin de vous pour me frictionner. Soir pa, soir man. Je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 147-148
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « attrappé ».
b) Après ce mot, Juliette a omis de biffer « quelconque » que nous n’avons pas transcrit pour préserver la clarté de la syntaxe.
6 août [1837], dimanche soir, 6 h. ¾
Mon cher petit homme, vous êtes à Fourqueux [3] où vous avez déjà tourné votre orgue, barbare que vous êtes [4], moi pendant ce temps-là je m’ennuie. Je crois que vous travaillez. Si vous croyez que c’est là ce qui rend une femme heureuse, vous vous trompez. Je suis vraiment abandonnée comme un pauvre chien. Personne ne songe à venir me voir seulement. Vous, vous êtes censéa travailler. J’ai de bons moments pour être [illis.] mais j’ai aussi de bien mauvais quarts d’heure qui ne sont pas le moins du monde de MATELAS [5].
Vous vouliez m’empêcher de lire vos admirables vers ce matin. Vous êtes aussi par trop féroce car enfin qu’est-ce qui peut le plus me faire prendre patience pendant vos absences ? C’est de voir les chefs-d’œuvreb que vous avez créés loin de moi. Je serais joliment attrapée si vous veniez me dire que vous souperez avec moi ce soir. Je crois que je vous livrerais la fameuse prime sur l’heure si vous étiez capable de me faire une aussi charmante surprise. Mais non, vous êtes bien à Fourqueux, étalant vos grâces devant les beautés des environs. Que le diable les emporte et moi avec pour avoir des idées de jalousie qui me monte plus vite au cerveau que la moutarde au nez de tout individu qui en mange. Enfin et une fois pour toutes je vous aime de tout mon cœur, de toute mon âme et je vous baise en pensées.
J.
BnF, Mss, NAF 16331, f. 149-150
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « sensé ».
b) « chefs-d’œuvres ».