Paris, 20 mai 1882, samedi matin, 8 h.
Cher bien-aimé, puisque nous nous aimons, puisque nous avons passé une bonne nuit, puisque nous nous portons bien, puisque c’est le mois de mai, puisqu’il fait beau et que c’est demain ma fête, c’est le cas, ou jamais, de m’écrire une bonne petite lettre [1] toute fleurie et toute parfumée d’amour qui réjouira mon cœur et remplira mon âme d’extase ici-bas, et celle de mon homonyme, Sainte Julie, au ciel. Je t’y fais penser d’avance parce que je sais, par ma propre expérience, combien la mémoire de tête est fugitive à notre âge. Il est vrai que, par compensation, celle du cœur devient de jour en jour plus vive et plus tenace. Je regrette que tu n’aies pas permis à la pauvre petite Mme Chenay [2] de venir passer cette fête, qui est aussi la sienne, auprès de nous cette année. Cela t’était si facile et cela lui aurait fait tant de plaisir !... Enfin Dieu sait que ce n’est pas ma faute ni la sienne.
Convocation au Sénat aujourd’hui de deux à trois heures pour l’élection d’un nouveau sénateur. Prière d’être exact. Le reste te regarde, ma fonction d’avertissement ne pouvant aller au-delà. Pense à ma petite lettre pour demain. J’y compte de toute la force de mon cœur.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16403, f. 88
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette