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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 mars 1839

19 mars [1839], mardi soir, 4 h.

Je ne vous en veux pas, mon cher petit homme. D’ailleurs je viens de faire une petite provision de vrai bonheur qui me fait passera lentement sur le chétif plaisir de prendre l’air un moment et de causer avec la mère Pierceau. Il est vrai que j’ai pendant près d’une heure le bonheur d’être auprès de vous côte à côte et d’admirer le reflet bleu de vos beaux yeux noirs. Ce qui vaut bien son prix et ce qui est cause que j’insiste avec tant d’opiniâtreté pour que vous me fassiez sortir le plus possible. Au reste je ne suis pas encore débarbouillée : le soin de ma maison et la dépense à compter ont pris tout mon temps et puis j’aime mieux vous écrire quelques bonnes paroles d’amour que de m’occuper de ma toilette. J’aime mieux mon âme que ma figure, mon amour que ma robe. Voilà c’est-y bien triminel [1] ? Suzanne prétend que ceux qui font des pièces comme Ruy Blas ont dû étudier « BIGREMENT » parce que « c’est beau comme un DIANTRE » et moi je fais CHAUD-RUSSE [2], voilà mon genre. Baisez-moi, aimez-moi et venez me voir si vous le pouvez sans vous faire grogner et sans vous déranger.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 279-280
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « passé ».


19 mars [1839], mardi soir, 6 h. ¾

Eh bien, quand je vous le disais, vieux scélérat, que vous ne me feriez pas sortir, avais-je tort ? Je suis encore bien bonne d’aimer un vieux bonhomme comme vous. Car vous avez QUARANTE-CINQ ANS !!! Et si vous vous obstinez à ne pas les avoir, vous les PARAISSEZ, ce qui est encore bien pis, et vous ne voulez pas me faire sortir encore, vieux TURC. Va, si je ne t’adorais pas comme une vraie HOURI, je te détesterais joliment et je n’en serais pas bien aise puisque je t’aime et que ça ne me contrarie pas du tout. Qui est-ce qui vous empêche donc de venir mon Toto ? Avez-vous encore des coiffeuses à écouter, des malades à ne pas guérir et des auteurs qui n’en sont pas à dresser ? Car je passe après tout ça, moi, et encore après bien d’autres chosesa. Ce n’est que lorsque vous n’avez rien de mieux à faire que vous daignezb porter votre pensée et vos pas vers la rue SAINT-ANASTASE [3]. Je sais si bien cela que chaque fois que vous me faites cette promesse sacramentelle : « JE VAIS REVENIR », je ne vous attendsc que 17 heures après, mais je vous aime ainsi et je ne voudrais pas vous changer contre le plus idéal des rois ou le plus repoussant des bourgeois. Vous êtes mon Toto adoré, mon ciel, mon paradis, vous êtes mon tout et mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 281-282
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « d’autre chose ».
b) « d’aignez ».
c) « attend ».

Notes

[1Jeu de mots : « triminel » pour « criminel », sur le modèle de « trimes » pour « crimes ».

[2Jeu de mots : « CHAUD-RUSSE » pour « CHORUS ».

[3Adresse de Juliette Drouet.

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