Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1849 > Mars > 18

18 mars 1849

18 mars [1849], dimanche matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher petit voleur, bonjour. Vous êtes-vous bien amusé cette nuit ? Et dormez-vous comme un sabot pendant que je vous gribouille ces billevesées ? Quant à moi, qui suis une personne vertueuse et très agitée, j’ai pu voir lever l’aurore ce matin, ce qui n’était pas à dédaigner, je vous assure. Cependant, cela ne m’empêche pas d’avoir un très grand mal de tête depuis plusieurs jours. Nous verrons si lorsque je sortirai cela se dissipera. J’espère que tu pourras venir dîner demain au risque d’avoir le déplaisir de te voir partir aussitôt après. J’aime toujours mieux un peu de votre représentation que rien du tout. Dieu, quel beau soleil ! Et dire que je suis toute seule à l’admirer dans mon coin, c’est agaçant. J’ai bien de la peine à m’habituer à cette solitude que votre indifférence fait à mon pauvre cœur. Si j’avais su que ce bel enthousiasme de votre amour devait durer si peu, j’y aurais regardé à deux fois avant de m’y livrer. Enfin, ce qui est fait est fait et ce qui reste à faire pour mon bonheur ne se fera plus. Voilà ce qui n’est que trop certain. Je devrais me résigner à mon sort, ce serait plus sage que de remâcher sans cesse un amour rétrospectif qui n’a plus aucune joie à me donner, mais je ne peux pas y parvenir, quelque raison que j’y apporte. Je t’aime avec un entêtement que mon origine n’explique que trop, mais que ton indifférence ne justifie pas.

Juliette

MVHP, MS a8163
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine


18 mars [1849], dimanche, midi ½

Est-ce que vous ne viendrez pas de bonne heure, aujourd’hui, mon Toto, pour me rabibocher de la stérile journée d’hier ? Cependant, j’aurais bien besoin de votre sourire pour me désengrimacera et pour me dérider un peu car je suis d’une maussaderie et d’un triste à rendre aimable la porte d’une prison ou l’intérieur d’un four refroidi. Quand je pense à quoi vous passez votre temps maintenant, j’en suis indignée et furieuse. Si j’avais pu prévoir qu’un jour vous seriez un pilier de bastringue et un souteneur de duchesses, de lorettes et autres artistes dramatiques, plus souvent que je vous aurais aimé avec cette bonne foi et cette persévérance digne d’un meilleur sort et d’un plus honnête Toto. Vous saurez que je suis furieuse dans ce moment-ci et que je suis capable de toutes les noirceurs si vous ne vous hâtez pas de venir me mettre un peu de blanc dans mon cœur et un peu d’amour sur mes lèvres. Mais hâtez-vous si vous voulez arriver à temps. Encore une chose qui peut me désenrager, ce serait que vous veniez dîner demain avec NOUS et que vous restiez un peu plus que le temps nécessaire pour [tordre  ?] et pour avaler. Mais vous vous souciez si peu maintenant de me faire plaisir que je n’ose pas y compter et que ma joie sera une vraie joie de surprise si vous venez. Jusque-là, je vous baise en grinçant.

Juliette

MVHP, MS a8164
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « désengrimacée ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne