1er novembre [1844], vendredi, midi ¾
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour le plus adoré et le plus adorable des Totos, bonjour je t’aime.
Quel temps affreux, mon Toto, prends garde au rhume et au refroidissement. Ma pauvre Péronnelle [1] sera trempée ce soir, pour peu que cette pluie continue ; mais elle doit être habituée car le bon Dieu la régale toujours de ce joli temps les jours de sorties. J’espère que Mme Marre sera contente [2]. Pauvre adoré, quelle bonté, quelle grâce et quelle ineffable obligeance. Tu as toutes les nobles et aimables qualités, toi. Tu es mon Victor adoré.
Je viens d’écrire à Dabat pour tes chaussures et je lui recommande de se hâter. De mon côté j’ai eu la visite de mon cordonnier à qui j’ai donné 20 F. ce matin. Je lui devais des brodequins de Claire et des brodequins à moi. Je les ai payés pour ne pas faire de note chez ce brave homme. Voilà, mon Toto, où j’en suis pour l’argent que tu m’as laissé hier. Tu sais que c’est affaire à moi de dépenser de l’argent. Je voudrais n’avoir jamais à y toucher, à ce vil métal, car rien n’est plus agaçant que de dépenser de l’argent excepté quand c’est pour acheter des portraits de son Toto adoré. Voilà mon opinion. Qu’est-ce que tu fais aujourd’hui mon Toto ? Est-ce que tu ne prendras pas un peu de repos et de loisir en l’honneur de la Toussaint ? Tu auras sans doute ton oncle et ses enfants à dîner ce soir sans parler de tes goistapious légitimes. Mais que tu travailles ou que tu reposes, mon pauvre bien-aimé, tâche de venir me voir un petit moment, je t’en prie je t’en supplie de toutes mes forces.
Juliette
BnF, Mss, NAF 1637, f. 1-2
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
1er novembre [1844], vendredi soir, 5 h. ¾
Où es-tu, mon pauvre désiré, que fais-tu, à qui parles-tu et qui aimes-tu ? Voici quatre petites questions qui en disent plus qu’elles ne sont grosses et auxquelles il me serait très doux de t’entendre répondre. Je ne t’ai pas vu de toute cette froide et pluvieuse journée, mon cher amour, et cependant Dieu sait si je t’ai désiré et aimé. Eulalie est allée chercher Claire. Je les attends toutes les deux. J’espère que Mme Marre sera comblée de la lettre ravissante que tu as écrite pour son mari. Il serait bien heureux pour ma grande fillette qu’elle eût le résultat qu’on en attend. Espérons.
Eh ! bien, chevalier de l’étoile polaire et fantastique, qu’est-ce qu’il y a de nouveau sous le ciel aujourd’hui ? Avez-vous reçu votre décoration ou avez-vous fait empailler le CANARD SUÉDOIS [3] ? Je suis très curieuse de savoir où en est cette nouvelle. Il y en a une autre dont je ne parle pas et pour cause….. mais qui m’asticotea plus que je ne voudrais me l’avouer à moi-même et pour laquelle je donnerais un boisseau d’étoiles les plus polaires du monde pour en avoir le cœur net [4]. Que le diable emporte les lanterneurs et les lambins de qui cela dépend. Si je pouvais les pousser d’un coup de pied quelque part je ne m’en ferais pas le moindre scrupule. En attendant, j’attends, tu attends, nous attendons et ils attendent que la chose n’ait plus le moindre intérêt ni pour eux, ni pour nous ni pour toi ni pour moi pour la faire. C’est très spirituel vraiment. J’en enrage tellement que j’enverrais de bon cœur tous les… à tous les diables. Et puis je t’aime voilà ce qui est bien sûr. Voici Claire.
Juliette
BnF, Mss, NAF 1637, f. 3-4
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
a) « asticote ».