Guernesey, 2 octobre 1858, samedi matin, 8 h.
Bonjour, mon ineffable bien-aimé ; bonjour, mon sublime et divin éprouvé, bonjour, je te souris, je te bénis, et je t’adore. Ne sois pas triste, mon bien-aimé, car l’incident [1] d’hier est plutôt un hasard de parole qu’une pensée injuste. Il est impossible que tes enfants ne sentent pas jusque que dans la moelle de leurs os la bonté surhumaine de ton cœur pour eux, autant qu’ils profitent de ton dévouement ardent et incessant à tous leurs besoins et à tous leurs plaisirs. Ce qui t’a contristé hier n’était qu’une formule d’enfant gâté qui se donne des airs d’impartialité envers les grands parents. Quant à moi, je comprends leur cœur par le mien et je sens qu’il est impossible qu’ils ne t’admirent et ne t’adorent pas autant dans ta bonté que dans ton génie. Aussi je n’hésite pas à me faire garant de leur amour et de leur reconnaissance, convaincue que je suis de leurs sentiments de piété filiale et de leur adoration pour toi, mon Victor, mon bien-aimé, mon bien, mon honneur, ma joie, ma vertu, mon bonheur, ma foi, mon Dieu, je te bénis. J’espère que cette petite tristesse d’hier ne t’aura pas empêché de passer une bonne nuit, mon pauvre petit homme ? Mais tu serais bien bon, par surcroît de venir me le dire ce matin, dès que tu le pourras. En attendant, je lutte depuis hier contre les douleurs de cœur et le mal de tête féroce sans en venir à bout. Mais je t’aime, voilà ma panacée.
Bnf, Mss, NAF16379, f. 279
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
[Massin, Blewer]