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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 juillet [1837], mardi matin, 9 h. ½

Bonjour mon cher petit bien-aimé. J’ai dormi comme une marmotte. C’est ma course d’hier au soir qui en est cause. Je te prie de croire qui si nous devions partir demain comme il y a deux ans [1], je n’en aurais pas dormi de joie.
Malheureusement nous sommes encore loin de réaliser le plus ardent de mes désirs. J’aurai le temps de t’attendre bien des jours et de dormir bien des nuits avant d’arriver à la veille de notre DÉPART. Je ne te demande pas comment tu as passé la nuit. Je sais trop d’avance que tu as travaillé. C’est triste à penser que toutes tes nuits ont cette destination. Pauvre bien-aimé, pourvu que cette tâche surhumaine ne fasse rien perdre à ton amour. J’ai deux inquiétudes à la fois, celle de ta chère santé et celle de ton amour qui pourra bien s’user dans ce travail sans relâche. Que faire ? Je suis pleine de courage et de bonne volonté, mais rien ne me réussit. Tu sais tout cela aussi bien que moi et je devrais me dispenser de t’en rebattre les oreilles, mais je ne peux pas m’en empêcher. Je t’aime mon Toto chéri. Je t’aime mon bon Victor. Je t’aime mon cher petit homme. Je vous adore mon beau et grand poète. Je voudrais passer ma vie à vous regarder et user ma bouche à vous dire je t’aime, je t’aime, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 93-94
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


25 juillet [1837], mardi après-midi, 3 h. ½

Sois bien tranquille, mon cher petit homme, je ne suis pas assez insensée pour me livrer au chagrin et à l’impatience quand tu me donnes tant de preuves de dévouement et d’amour. Si tu travailles pour moi, moi je t’aime. La besogne n’est pas fatigantea, au contraire. Mais aussi elle est faite avec une exactitude et une contention de cœur et d’esprit que tu ne retrouverais dans aucune autre femme. Je crois que ta petite petite lettre a été écrite avant de venir chez moi [2], aussi je n’espère plus te voir avant ce soir et peut-être même fort tard. Je n’en aurai que plus de mérite à être bonne et patiente. Je crois même que je pourrais être gaie si j’avais la certitude que cette journée de labeur pour toi et de privation pour moi sera, d’ici à très peu de temps, changéeb en voyage, c’est-à-dire en bonheur ineffable, en joie du paradis, en extase et en ravissement d’amour. Tu me le fais espérer, mais je n’ose pas me livrer à la joie avant d’être sûre, bien sûre que ce sera.
Jourdain est venu m’apporter son mémoire et une lettre de Mme Krafft que j’ai ouverte sachant que je pouvais me permettre cette infraction à la règle sans me faire rouer de coups. À propos de coups, vous m’en devez car je vous ai promis et permis de m’en donner chaque fois que vous m’écririez une bonne petite lettre [3]. Vous êtes donc tout à fait en droit de prendre votre dividende. Est-ce ainsi qu’on s’exprime en termesc d’intérêt ? de gain ? Je n’en sais rien. Dans tous les cas, battez-moi à la condition de m’aimer. Je le veux, je l’exige. Merci mon cher petit homme adoré, merci de ta bonne lettre. Je pensais à toi avec amour quand je l’ai reçue. Maintenant je vais continuer avec redoublement.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 95-96
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


a) « fatiguante ».
b) « changé ».
c) « terme ».


25 juillet [1837], mardi soir, 6 h. ¾

Vois-tu mon cher bien-aimé, je suis bien raisonnable, c’est-à-dire que je t’aime de toute mon âme. Je serai comme cela toute la soirée, et c’est ta chère petite lettre qui aura fait le miracle [4]. Elle est si bonne et si charmante quoique trop courte, ta chère petite lettre. Et puis il y a un si doux espoir au fond que je me sens le courage de ne pas te voir ce soir. Oh… oh… n’allons pas si vite, quand je dis courage je me vante. Car un siècle de bonheur en perspective ne me ferait pas renoncer volontairement à une heure passée tout de suite dans tes bras. Mais enfin je dis que je ne grognerai pas, voilà tout ce que je peux faire de plus fameux. D’ailleurs, je suis triste parce que je t’aime, parce que je te plains d’être obligé d’acheter quelques minutes de joie par des grandes journées et des longues nuits de travail. Si je pouvais t’aider, encore, mais je ne suis bonne qu’à dépenser de l’argent et à t’aimer. La première moitié devrait pouvoir se supprimer. Mais je suis bête comme une noix [5]. Jour pa, jour man. J’ai fait presque comme le M. d’Honfleur [6]. J’ai ri à tomber sur la table du vieux-niais et de sa lettre [7]. On devrait l’écrire en lettres d’or dans tous les cabinets de lecture, sa lettre. Elle est vraiment ravissante et divertissante. Et vous vous n’êtes que le chef de l’école ROMANTIQUE que j’ai la bonté d’aimer jusqu’à l’adoration. Voilà ce que vous êtes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 97-98
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


25 juillet [1837], mardi soir, 7 h. ¾

Il est bien juste que pendant que tu travailles et avec la triste certitude de ne pas te voir, mon pauvre bien-aimé, je t’écrive le plus que je peux. C’est aussi ce que je fais en me reprochant cette intempérance de plume qui te forcera à fatiguer tes pauvres yeux malades plus qu’il n’est besoin. Mais l’amour est égoïste, ce n’est pas moi qui ai inventé cette vérité. Je t’aime, mon cher Victor. Je trouve une douceur inexprimable à te le dire. Je ne peux pas détacher ma pensée de toi. Je n’entends que toi, je ne rêve que toi, je ne désire que toi, je ne vois que toi même quand mes yeux fixent quelqu’un ou quelque chose.
Il est probable que je me coucherai avec le jour. Je n’ai pas besoin de t’attendre aujourd’hui, je sais bien que tu ne viendras que tard en supposant que tu viennes. Chère âme, fais en sorte que je ne passe pas toute cette soirée et toute cette nuit sans t’embrasser. Mon cœur déborde d’amour, mes lèvres brûlantes de baisers. Il faut que je t’en donne un peu si je ne veux pas être triste et malade de ma continence.
Soir pa, soir man. Donnez vos deux petits pieds que je les baise même avec leurs grandes BÔTTES, et puis vos belles mains, et puis votre jolie bouche, et puis vos beaux yeux, et puis… le reste que je baise encore plus fort.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 99-100
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

Notes

[1Le voyage de 1835 a duré du 25 juillet au 22 août, avec de multiples étapes entre Haute-Normandie et Picardie.

[2Dans une lettre portant le timbre postal du 23 juillet 1837, Hugo lui écrit : « Je t’aime. Je travaille pour toi, et je n’ai qu’une idée, c’est que ce qui est travail pour moi soit pour toi bonheur. / Et mon travail est un bonheur aussi puisqu’il t’a pour but. Pense à moi ! / Je serai près de toi peut-être en même temps que ce billet. » (lettre publiée par Jean Gaudon, ouvrage cité, p. 95).

[3Suite à ce que Juliette appelle un « incident », elle écrivait à Hugo le 22 juillet : « Si tu dois m’écrire une lettre aussi adorable que celle que je viens de recevoir chaque fois que tu auras été méchant, je te permets de me battre tous les jours plutôt deux fois qu’une ». La « lettre adorable » de Victor Hugo était une lettre d’excuses et un mea culpa  : « […] je ne me suis jamais plus détesté. / Hélas, pardonne-moi. Je ne savais ce que je faisais. Je baise tout ce que j’ai frappé » (voir la note concernant la lettre du 22 juillet après-midi).

[4Voir la lettre de l’après-midi.

[5Jeu de mots (« bête comme une oie »). Juliette s’est accusée d’avoir un esprit d’oie dans la lettre du 22 juillet.

[6Allusion à élucider, qui réfère probablement à une scène vue en juillet 1836, Honfleur étant l’une des étapes du voyage entrepris par Hugo et Juliette.

[7Le « vieux-niais » réfère à Viennet, dont il a déjà été question dans les lettres des 22 et 23 juillet (soirs). Juliette a maintenant lu la lettre que Viennet avait adressée au Constitutionnel le 21 juillet 1837, dans laquelle il expliquait pourquoi il ne porterait plus, à l’avenir, sa rosette de la Légion d’honneur. Hugo ayant été décoré récemment, c’est en fait toute l’école romantique que Viennet attaque.

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