12 octobre [1844], samedi matin, 10 h. ¾
Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon adoré petit Toto. Bonjour, mon pauvre cœur triste, bonjour, bonjour, comment vas-tu ce matin ? As-tu pris un peu de repos cette nuit, mon cher bien-aimé ? Es-tu moins inquiet de M. [illis.] ce matin ? J’attends que tu viennes avec bien de l’impatience pour savoir comment tu vas et comment va ce pauvre malade. Malheureusement, ce temps est bien contraire aux vieillards.
Tâche de venir bientôt, mon adoré, je t’ai si peu vu cette nuit que cela ne peut pas compter. Pour me faire trouver le temps moins long, mes yeux vont de ton cher petit buste à ta petite médaille et de la médaille au médaillon [1]. Mais tous ces chers petits portraits, loin de diminuer mon impatience, l’accroissent encore davantage. Ce genre de bonheur ressemble au plaisir de boire dans un petit verre quand on a une soif inextinguible. Enfin, il vaut encore mieux une goutte d’eau que rien du tout. Il vaut encore mieux son Toto en effigie que pas du tout, je le reconnais de toutes mes forces.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Ne sois pas triste, mon Victor, mon noble cœur, mon généreux homme, ne sois pas triste. Regarde dans mon cœur, tu y verras l’amour le plus pur, le plus tendre et le plus dévoué qui ait jamais existé. Ne souffre pas si tu ne veux pas que je sois la plus malheureuse des femmes.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16356, f. 241-242
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
12 octobre [1844], samedi soir, 4 h. ¾
Je suis bien heureuse, mon adoré, que tu sois moins tourmenté qu’hier [2]. Pauvre ange bien aimé, je ne peux pas supporter la pensée que tu souffres ou que tu es triste. Merci, mon Toto chéri, merci, tu as trouvé le vrai moyen de me faire attacher du prix aux choses qui ne me viennent pas directement de toi. Tu as fait avec moi aujourd’hui comme on fait avec les enfants : belle fille qui n’est pas gourmande [3] et à qui on rend le nanan [4] pour la récompenser de sa générosité. Moi qui ne suis pas une petite fille, je reprends bela et bien la chose et je me l’applique avec d’autant plus d’enthousiasme.
Sais-tu bien, mon amour, que sans toi j’avais perdu 500 F. Car il est probable que tu ne m’aurais pas demandé la monnaie de ton billet de 1000 F. avant trois ou quatre jours. Quand j’y pense, j’en suis encore toute ébouriffée. Heureusement que tu as eu la présence d’esprit de t’apercevoirb à temps de ma stupidité. Au reste, c’est la première et ce sera la dernière fois que cela me sera arrivé.
Baise-moi, mon cher amour, baise-moi. Je n’ai pas encore eu le courage de me séparer de ma médaille [5] pour l’envoyer chez Barbedienne. Cependant, il le faut car ce hideux marchand ne saurait plus ce qu’on veut lui dire si je tardais davantage. Ce sera difficile mais il le faut. Je t’aime trop. C’est bien vrai, mon Dieu.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16356, f. 243-244
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
a) « belle ».
b) « appercevoir ».