6 juin [1837], mardi, 1 h. ¾ après midi
Quelle douceur et quelle joie de se trouver autant et plus amoureux l’un de l’autre qu’on ne s’était quittés après une absence de bien longs jours. Car je regarde comme absences tous les jours où tu as à peine le temps de me serrer la main, occupé que tu es à un travail sans relâche. Chère âme, si tu pouvais voir avec quelle adoration et quellea ferveur tu es aimé, tu serais bien heureux. Chacun de tes gestes, la moindre de tes paroles, un clignement d’yeux, je retiens tout. J’amasse tout au fond de mon cœur et je m’en compose un trésor de souvenirs qui ferait envie aux anges. Jour mon To. Jour mon gros to. Je vais bien penser à vous. Je serai bien sage et bien patiente en vous attendant. Je ne m’étais pas trompée tout à l’heure. J’ai un mort tout à côté de chez moi. Cetb assaisonnement de vinaigre ne m’a jamais trompée. Pouah ! en voilà encore. Heureusement que la senteur n’attriste que mon nez, car mon cœur n’a jamais été aussi vivant et plus rempli de joie et d’amour. Je t’aime mon Victor bien aimé, je t’aime de toutes les forces de mon âme, je t’aime je t’aime je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 267-268
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « qu’elle ».
b) « c’est ».
6 juin [1837], mardi soir, 9 h. ½
Cher petit homme adoré, je vous écris aussitôt que je suis libre. Je vous aurais même écrit beaucoup plus tôt si on pouvait écrire avec la pensée seulement. Mme Pierceau vient de s’en aller et moi j’ai donné le congé à ma bonne et cette fois, je le crois bien, définitivement. Du reste je t’expliquerai cela quand tu viendras. Pauvre cher bijou, voici que tu as encore mal à l’œil puisque tu travailles trop. Mon Dieu, mon Dieu, comment donc faire pour t’en empêcher ? C’est un problème qu’il ne nous est pas facile de résoudre. Cependant il doit y avoir un moyen d’empêcher un pauvre homme adoré de se tuer à force de veilles et de fatigues de toutes espèces. Le tout est de le trouver. Et si tu voulais m’aider un peu, peut-être en viendrions-nous à bout. Je vous aime mon Victor bien aimé. Je vous aime mon Toto chéri. Je t’aime mon pauvre amour. Je te verrai ce soir et bientôt, n’est-ce pas mon petit homme ? J’ai besoin de vous voir, moi. J’ai besoin de baiser votre pauvre N’ŒIL [1] malade. Et puis voilà, j’ai encore bien d’autres besoins que je ne veux dire qu’à vous dans le tuyau de l’oreille. En vous attendant je vais me coucher. Je vais penser à vous et vous aimer depuis la pointe de vos pieds jusqu’à la plante de vos cheveux.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 269-270
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein