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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 avril [1849], jeudi matin, 7 h.

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, que mon amour se change en joie et en bonheur pour toi, mon bien-aimé, c’est le vœu bien sincère que je forme à tous les instants de ma vie. Il y a des jours où j’ai la folie de vouloir être moi-même et à moi toute seule ta joie et ton bonheur, mais mon impatiente ambition n’est pas de longue durée et je reviens bien vite à l’humble condition d’une vieille Juju. Je prie et puis je me résigne. Vas à ce bal, mon adoré, puisqu’aussi bien je ne t’en verrais pas davantage si tu n’y allais pas. D’ailleurs je me ferais un cas de conscience de priver ta famille du bonheur d’aller avec toi dans le monde. Parce que le bon Dieu m’a faite solitaire, il ne faut pas que tout le monde en souffre. Soyez heureux au contraire vous tous que j’aime, et ajoutez à votre bonheur la part que j’aurais dû avoir si je n’avais pas été déshéritée en venant au monde. Je te demande seulement de penser à moi au milieu de tout ce plaisir des yeux et de l’esprit. Je le sentirai et mon pauvre cœur en sera bien consolé. En attendant il faut que je continue de monter des factions de deux heures pour le roi de Prusse et son auguste alliée la République Française et son Assemblée nationale. Si vous croyez que c’est amusant vous êtes dans l’erreur et vous ne vous doutez pas du supplice du brodequin doublé de corsa aux pieds. C’est égal, je serai prête à midi, heure militaire et je vous aimerai l’arme au bras jusqu’à la mort.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 113-114
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « corps ».


19 avril [1849], jeudi matin, 11 h.

Je n’ai plus de papier, mon bien-aimé, il faut, ou que je prenne celui que tu m’as apporté, ou que j’en achète. C’est à toi de voir ce que tu préfères. Quant à moi cela m’est tout à fait égal. Je suis aussi FORTE sur le papier satiné que sur le papier graillon. Je ne suis pas des gens qui ont besoin de ces vulgaires auxiliaires pour relever leur style et pour enjoliver leurs sentiments. Rien ne peut nuire à mon éloquence épistolaire et rien ne peut ajouter à mon amour après ces deux mots : Je t’aime. Maintenant je ferai à ce sujet tout ce que vous voudrez. En attendant j’utilise tous les petits morceaux de papier qui me tombent sous la main sans même leur demander d’où ils viennent, discrétion qui n’est peut-être pas sans prudence par le temps qui court. Taisez-vous vilain salea et tâchez de venir à l’heure une fois dans votre vie. Dans cette espérance je vais me dépêcher de mettre la dernière main à mon ménage et à ma personne. Je vous aime, je vous attends, je vous désire et je vous adore, tout cela à la fois.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 115-116
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse MVHP, MS a8191

a) « sâle ».


19 avril [1849], jeudi soir, 9 h.

Je vais aller me coucher, mon adoré, mais auparavant je veux te souhaiter un petit bonsoir et te dire que tu as très bien fait de ne pas venir ce soir par ce vilain temps pâle et froid. Je te le dis du fond du cœur, mon amour, tu as très bien fait. Justement te voici, tu es venu, mon bien-aimé, et tu as encore très bien fait car, après la sollicitude pour ta chère santé, il y a mon amour qui souffre de ton absence prolongée et indéfinie. Aussi je te remercie d’avoir eu le courage de braver cet affreux temps et je serai bien heureuse si tu ne ressens pas de mal de cette visite faite dans de si mauvaises conditions. Je t’avoue que j’aimerais mieux que tu n’allasses pas à l’Évènement. Cependant, si c’est nécessaire et que tu le veuilles absolument, je me résigne comme toujours en priant le bon Dieu de te garder de toutes mauvaises rencontres au physique et au moral. Bonsoir, mon adoré, bonsoir. Sois prudent et ne veille pas trop tard. Je te recommande ta chère petite peau à laquelle je tiens comme ruche. Bonsoir, je t’adore, sois-moi bien fidèle.

Juliette

MVHP, MS a8191
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

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