22 février 1879

Paris, 22 février [18]79, samedi matin, 8 h.

Cher bien-aimé, je suis si heureuse de savoir que tu as passé une bonne nuit que je t’envoie un bonjour gai malgré la maussaderie du temps qui ne m’inspirerait pas le plus petit mot pour rire ce matin si je ne savais pas que tu as bien dormi. Sans compter le régal désiré et attendu ardemment par nous, famille et amis les plus proches de ton cœur, la lecture de ton prochain speech^a au Sénat pour l’amnistie. Je t’avoue que cette espérance à l’horizon de tantôt vaut pour moi tous les soleils absents. Tout ceci ne m’empêche pas, hélas ! d’avoir au fond du cœur une pointe de tristesse, tout près d’être un remords, si je n’étais pas moi-même la première blessée par les lâches agressions anonymes des créatures qui revendiquent l’honneur (quel honneur !) d’exciter tes sens au péril de ta santé et peut-être de ta vie, et aux dépens^b de ta dignité qui doit rester pour tous, tant que nous sommes, connus ou inconnus, amis ou ennemis, vénérable et sacrée ! Ces tentatives qui se renouvellent et se multiplient autour de toi m’inquiètent, m’humilient et m’attristent au point d’en être irritée et de perdre patience jusqu’à t’en faire souffrir toi-même. Je t’en demande pardon. La maîtresse… d’école, comme tu m’appelles ironiquement, doit se taire et se taire dorénavant, dût-elle en mourir, devant le MAÎTRE sublime et divin.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16400, f. 52
Transcription de Chantal Brière
[Souchon]

a) « speach ».
b) « au dépend ».