25 février [1849], dimanche matin, 8 h.
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, mon grand barbouilleur, bonjour. Dieu, quel beau gribouillis vous avez fait hier. J’ai un vieux pot à cirage qui ressemble beaucoup pour la couleur à votre nouveau chef-d’œuvre. Fichtre quel RAGOÛT, comme dirait le célèbre Théophile Gautier [1]. Il faut avoir le palais diazement [2] pavé au gré de Fontainebleau pour goûter à une pareille SAUCE. Pour ma part, je ne me sens pas de force à avaler cette bouteille à l’encre. Voime, voime, telle est mon opinion, qui n’est pas à dédaigner [illis.]. Maintenant si vous voulez m’en donner pour deux sous, je consens à délier les cordons de ma bourse, mais hâtez-vous parce que ce moment d’aberration une fois passé, je garde mes deux sous pour les placer à la banque Proudhon [3]. Bouteille à l’encre pour bouteille à l’encre, je donne la préférence à la petite vertu de ce rouge crétin. Maintenant que vous connaissez ma faiblesse, dépêchez-vous d’abuser de ma première offre. Je vous donne jusqu’à midi. Passé ce délai, il ne sera plus temps – quand même vous useriez tous les noirs minéraux et animaux, y compris celui de l’âme des socialistes. Vous savez que vous avez jusqu’à midi. D’ici là, je vais tâcher de n’y plus penser pour n’avoir pas à me repentir, ce qui est dit est dit et Juju n’a qu’une parole. Baisez-moi, mon cher amour, et venez avant l’heure fatale. Je vous attends avec anxiété.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16367, f. 33-34
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse