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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 février [1845], dimanche soir, 10 h. ½

Tu ne viendras pas encore ce soir, mon bien-aimé, et ta pauvre gorge, qu’est-ce qui te la soignera ? J’avais pourtant bien apprêté ton gargarisme, ton raisin et ton bouillon froid, espérant que tu viendrais faire usage de tout cela mais, hélas ! je me suis trompée. Je suis furieuse contre ce stupide et lambin serrurier. Sans lui, il est probable que je te verrais un peu toutes les nuits ? Aussi demain je me fâcherai pour tout de bon s’il ne me donne pas ce passe-partout. Mais tout cela ne fera pas que je te verraia ce soir et que je t’aie vu depuis huit jours. Cher adoré bien-aimé, voilà un affreux hiver pour moi et je serai bien contente quand il sera passé. Oh ! alors je serai sans pitié. Il faudra que tu viennes déjeuner avec moi tous les jours. En attendant, il faut que je JEÛNE et voilà ce qui m’humilie et ce qui m’attriste. Je pleure même quand je pense que peut-être à l’heure où je te parle, tu causesb, tu vis et tu es charmant avec Mmes Paillard, Lucas, Ourliac et autres Ségalen de même farine. Quand je pense à cela, j’ai des accès de désespoir inexprimables et je suis tentée d’aller te chercher au milieu d’elles. Et puis encore, quand je crois me tromper, quand je pense que tu travailles, que tu marches dans la neige malgré le froid et le givre, j’ai le cœur plein de remords, de pitié et d’adoration. Je te demande pardon à genoux. Je voudrais baiser tes pieds. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Ô oui, mon Victor, je t’aime de toute mon âme.
J’ai envoyé tout mon monde se coucher. Je t’écris toute seule auprès de mon feu qui s’éteint. Demain je me rabibocherai de tous mes gribouillis manqués. Ce soir je ne veux pas rallumer de feu et je veux me réveiller de bonne heure pour être sûre que Claire sera prête à sept heures quand Lanvin viendra la chercher. Cette chère fillette m’a chargée de tous ses embrassements pour toi. Je lui ai promis de n’en pas omettre un seul quand je te verrais. Hélas ! quand te verrai-je ? Voilà la hideuse question que je me fais cent fois par minute, attendant avec impatience que tu viennes m’apporter la réponse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 87-88
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « je te verai ».
b) « tu cause ».

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