19 janvier [1845], dimanche soir, 4 h. ½
Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon Toto chéri, comment vas-tu aujourd’hui ? Toujours bien occupé, n’est-ce pas ? Pauvre adoré, je te plains et je t’aime de toute mon âme en regrettant de ne pouvoir t’aider à rien. Bien loin de là, car je ne fais que des stupidités et des jocrisseries qui retombent toujours sur toi, pauvre adoré. Aujourd’hui, j’ai trouvé moyen de casser le verre de ma lampe. Un peu par ma faute, et beaucoup par celle du hideux marchand qui vend des lampes mal attifées. Enfin j’enverrai chez lui demain mais en attendant, nous serons plusieurs jours sans y voir et nous aurons une dépense à laquelle nous ne nous attendions pas. Je suis furieuse contre le marchand et contre moi. Juju est une vieille bête, c’est bien bien vrai. Il faut pourtant venir la voir, quand ce serait pour la gronder et pour la battre. Pourvu qu’elle vous voie, elle est résignée à tous les supplices et à toutes les tortures, toujours à la condition de vous voir.
C’est demain, mon Toto, que commencenta mes ennuis et les tiens [1]. Je voudrais pour beaucoup que ce déménagement soit fini et qu’il n’en soit plus question. J’entrevois pour toi tant d’embarras et d’importunités à ce sujet que je m’en veux d’avoir cédé à la tentation d’avoir un jardin [2]. Je ne sais pas à présent si c’était à refaire, si j’y consentirais. La pensée de te tourmenter et de t’obséder m’en empêcherait. C’est dommage que cette pensée me soit venue si tard puisqu’elle ne me sert qu’à me donner des regrets et rien de plus. C’est toujours ainsi. Je ne m’aperçois des fautes que lorsqu’elles sont faites. Je n’ai que le mérite du repentir, c’est peu de chose.
Clairette voudrait bien lire ton discours. Est-ce que tu ne l’apporteras pas ce soir ? J’en serais contrariée pour elle, car elle désire ardemment le lire. Je lui fais espérer que tu l’apporteras dans un de tes journaux, mais au fond, j’en doute, car il me semble que tous ceux que tu reçois l’ont déjà reproduit ou en ont parlé ? Enfin je lui fais prendre patience en attendant que tu viennes. Quant à moi, personne ne me fait prendre patience en vous attendant, ce qui fait que je n’en ai pas du tout et que je désire très impatiemment vous voir et vous caresser. Vous m’obligerez même beaucoup en venant tout de suite. C’est bien vrai, mon cher petit bien-aimé, que tu me rendras bien heureuse si tu viens tout de suite et si tu restesb longtemps avec moi. S’il suffisait de le désirer de toutes ses forces et de tout son cœur, tu serais déjà auprès de moi. Mais, hélas ! cela ne suffit pas. Je ne le sais que trop.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16358, f. 55-56
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « commence ».
b) « tu reste ».