Guernesey, 26 février [1] 1858, vendredi soir, 6 h. ¼
Je te recommence tous les jours le même gribouillis, mon cher petit homme, comme mon cœur recommence tous les jours le même amour depuis vingt-cinq ans. Ça n’est pas de ma faute si je ne sais pas dissimuler la monotonie de cet amour par quel[ques] variantes spirituelles. Dieu sait que je ne demanderais pas mieux que de te paraître moins bête sans faire tort à mon cœur. Mais cela ne m’est pas possible et tous les efforts que je fais pour sortir de mon ineptie ne font que m’y enliser davantage. Il faut donc que je me résigne à te donner mon amour tout brut et dans le moins de mots possible, quitte à te dire le reste dans un baiser ce soir. En attendant, j’ai un gros mal de tête qui demande peut-être à NAÎTRE mais mon dîner n’est pas encore prêt quoiqu’il soit cuit depuis hier. Il est vrai que ma SERRE-VENTRE [2] distribue si bien son temps et sa besogne que j’ai mon dîner à l’heure de me coucher et mon déjeuner à l’heure du dîner et vice Versailles, ce qui ne m’empêche pas de t’aimer de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16379, f. 44
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette