30 septembre [1848], samedi matin, 9 h. ½
Bonjour, mon cher adoré, bonjour, mon amour bien aimé, bonjour, gueulard, bonjour, goinfre, bonjour Tragaldabas [1], bonjour, PAUVRE. J’ai déjà vu le père Cacheux et son petit-fils insurgé célèbre âgé de trois ans et quelques pouces de morve. Les deux portant l’autre, il m’a paru qu’il y avait plus d’une difficulté pour avoir cet argent qu’on disait si facile au premier abord. Il paraît qu’on est plus difficile sur les modes de paiement depuis la sainte Révolution de février [2]. Cependant il prendra de nouvelles informations et me les dira les premiers jours de la semaine prochaine. Si tu m’en crois, mon adoré, tu toucheras toi-même ton argent et tu n’attendras pas plus longtemps. Pour cela si tu veux je m’informerai si on peut envoyer une tierce personne prendre un numéro d’ordre au besoin. Dans ce cas-là, j’irais le prendre moi-même et tu n’auras plus qu’à aller toucher et signer à la caisse. Je t’écris toutes ces choses parce que tu les liras à tête reposée et que tu pourras prendre une résolution tranquillement. Quant à moi, quelle quea soit la sollicitude que j’ai pour tes affaires et pour tes intérêts, je ne peux pas me dissimuler que je l’oublie un peu quand je te vois et que je n’ai pas d’autre souci que celui de t’agripperb le plus de baisers, de sourires et d’amour possibles.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16366, f. 327-328
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
a) « quelque soit ».
b) « t’agriper ».
30 septembre [1848], samedi soir, 7 h. ½
Où en es-tu, mon adoré, que s’est-il passé depuis tantôt ? Je donnerais une partie de mon Burgos [3] et même mon Burgos tout entier pour savoir tout de suite si tu as parlé [4] et tout ce qui s’est passé dans ce cas-là. Depuis que tu m’as expliqué fructidor [5] je ne suis pas tranquille.
Jusqu’à présent je ne craignais que les coups de fusil. Maintenant je crains les coups d’État, et je ne sais auquel des deux donner la préférence. J’avoue que si on me laissait le choix j’aimerais mieux un voyage dans la forêt noire en compagnie d’Adam que la perspective de [Synamarie ?] double de fructidor. La lande de Schinderhannesa [6] m’effraye moins que les communistes et les [illis.] d’auberges allemandes sont plus amusantes que les discours de M.M Bénard [7], Bérard [8] et autres [cornard ?] du même Cavaignac. Aussi je me demande à NOUS en aller quitte à laisser mon Burgos en gage. Dans ce moment-ci je ne tiens qu’à ta peau, le reste m’est égal, la République, MA PATRIE, tes vingt-cinq francs, je donne tout pour deux sous et un passeport pour l’étranger. N’y a-t-il personne au monde qui veuillea faire ce marché avec moi ? Le fait est qu’il n’y a pas foule, ce qui est peu rassurant. Il est vrai encore que tu ris, toi, et que tu ne hais pas le grabuge surtout quand il y va de ta peau, mais moi c’est différent, je ne trouve pas ça très drôle et je demande plus que jamais à NOUS en aller.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16366, f. 329-330
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
a) « Chideranes ».
b) « personne au monde qui ne veule ».