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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 février [1846], lundi matin, 9 h. ½

Bonjour bien-aimé, bonjour mon cher petit homme. Bonjour mon beau, mon charmant, mon adoré Toto, bonjour. Je suis jalouse quand je te vois si beau, si jeune et si ravissant. Je ne peux pas me figurer que ce soit pour moi seule et alors je suis comme un rat empoisonné. C’est très bête peut-être mais je ne peux pas m’en empêcher. Ce serait à vous dans ce cas là à ne pas être si fringuant, si astiqué, si nippé et si émerillonné [1]. Regardez moi, est-ce que je suis belle comme vous moi ? (Hélas ! Á mon corps défendant et en enrageant de tout mon cœur) mais enfin je suis vieille et laide en conscience et je vous donne toutes les catégories possibles de ce côté-là ! Tandis que vous vous me faites damnerª depuis le matin jusqu’au soir. Vous verrez ce que je vous ferai si vous me poussez à bout. Je n’ai pas besoin, moi, que vous soyez beau pour tout le monde à la fois. Je veux que vous ne le soyez que pour moi seule. Aussi je mettrai votre beauté dans ma poche et mon mouchoir par-dessus et il n’en sera plus question. Le temps est toujours très beau mais je ne sais pas encore si je pourrai en profiter tantôt, quand tu viendras je te dirai cela. D’ailleurs si tu dois venir ce soir avant ton dîner j’aime mieux ne pas m’en aller. Il est vrai que tu ne le sais pas d’avance, enfin je verrai, tu me conseilleras et puis il est probable que je ne sortirai pas. D’ici là je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 139-140
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

a) « damnée ».


9 février [1846], lundi après-midi, 2 h. ¾

Je suis très embarrassée mon Toto avec les quatre temps qu’il fait aujourd’hui. D’abord je n’ai pas de parapluie et il serait peu agréable que je sois surprise en chemin par l’ondée de neige de tout à l’heure. D’un autre côté je n’ai pas fait faire de cuisine et Suzanne qui espérait sortir fait une mine de chien. Bon voilà que cela recommence. Il est presque certain maintenant que je resterai chez moi, n’en déplaise à ma servarde et nonobstant notre rendez-vous élastique. Cher petit bien-aimé je serai toute consolée si tu me donnes quelques instants dans la soirée et je bénirai le bon Dieu et sa neige mais si tu ne viens pas je serai comme toujours, quelque temps qu’il fasse, la plus maussade, la plus triste et la plus malheureuse des Juju. [illis.] mes lettres. Jour Toto, jour mon cher petit o. Si vous étiez bien gentil vous viendriez me chercher avec votre parapluie mais vous êtes trop enfoncé dans la pairie pour cela, vous gardez LA CHAMBRE et votre parapluie et vous me laissez devenir ce que je peux, c’est-à-dire rien du tout. Eh ! bien je me passerai de vos services et je resterai tout bonnement auprès de mon feu. ATTRAPPÉ ! Sur ce baisez-moi et aimez-moi ou la mort. À quatre heures sonnantes j’enverrai chercher de la NOURRITURE, je laisse au bon Dieu le temps de se tordre sur d’autres bosses que la mienne. L’heure une fois passée je me résignerai à mon affreux sort. Je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 141-142
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Gai, vif, fringant.

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