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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 janvier [1846], dimanche matin, 10 h. 

Bonjour mon aimé, bonjour adoré petit Toto, bonjour mon âme. Comment vas-tu ce matin ? Je te plains d’avance, mon pauvre aimé, pour la triste cérémonie à laquelle tu es obligé d’assister aujourd’hui. Je souffre de te savoir au milieu de tout ce deuil, je voudrais être auprès de toi pour te garantir et intercepter tout ce désespoir afin qu’il n’arrive pas jusqu’à ton pauvre cœur. Je t’aime, mon Victor, prends garde de te refroidir. Jamais, je crois, le temps n’a été plus sombre et plus froid. Je voudrais que tu fusses déjà revenu. C’est aujourd’hui, c’est ce soir que notre gros Charlot revient, j’en suis sûre. Il aurait donc fallu qu’il n’y eût de place dans aucune diligence, ce qui n’est pas probable par le temps qu’il fait. Pour ma part je ne serai pas là moins heureuse de son retour.
Je ne fais aucun préparatif pour sortir tantôt parce que je sens bien que tu ne seras pas libre ni disposé à m’accompagner chez ma fille [1]. Aussi je remets à un autre jour ma visite, le temps d’ailleurs n’est pas encourageant. Quant à ce que je t’ai dit pour le jour de la sortie de Suzanne tu y penseras et je te promets d’avance de souscrire avec joie à ce que tu voudras. Ce que je t’en dis, c’est pour n’être pas une partie de la journée et toute la soirée seule, et pour n’avoir pas l’ennui de préparer mon dîner moi-même. Voilà, mon cher petit homme, les motifs qui me font désirer de sortir ce jour-là plutôt qu’un autre. Je t’aime, et puis je t’aime, et puis encore je t’aime. Voilà le fond et le tréfonds de ma pensée, de mes actions, de mon esprit et de ma vie. Sur ce baise-moi et viens bien vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 33-34
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette


11 janvier [1846], dimanche soir, 5 h. 

Conviens que je n’ai pas de chance, mon amour. Tu t’en vas juste au moment où je pouvais être auprès de toi, si j’avais pu prévoir que ce serait ainsi, j’aurais laissé là mon débarbouillage et le soin de ma personne pour rester auprès de toi pendant que tu travaillais. Mais je m’étais flattée que tu ne t’en irais que pour dîner, ce qui fait que je me suis attifée et coiffée dans l’espoir de te plaire. Décidément je ne suis pas chanceuse et je ferais aussi bien de ne jamais essayer d’arranger et de provoquer le bonheur à quelque moment du jour et de la nuit, qu’il se présente, quand par hasard il se présente. Je suis furieuse contre moi et presque contre toi. Taisez-vous, je suis enragée. Je savais bien que ce gros Charlot écrirait aussitôt son examen passé, mais j’espérais qu’il reviendrait plus tôt surtout après sa lettre d’effroi. Il paraît qu’on l’aura retenu bon gré malgré là-bas et le succès aidant, il se sera laissé faire en dépit de son peu de sympathie pour les habitants et les curiosités de la ville de Rennes [2]. À propos de provinciaux, d’examen et de collège je viens de recevoir le billet de faire-part du Sieur Alboize toujours et plus que jamais du Pujol. [Hortensier  ?] est décidément l’heureux époux de Zoraïde [3]. Grand bien lui fasse et puisse-t-il avoir énormément d’enfants. C‘est que je lui souhaite jusqu’à la consommation de son siècle. Ainsi soit-il. C’est bien le moins que j’en souhaite à tout le monde, des enfants, puisque je n’en peux pas faire à moi toute seule. Ceci à la prétention d’être horriblement acre et méchant, je vous en préviens afin que vous ne vous y mépreniez peu et ne preniez cela pour de la pâte de réglisse. Baisez-moi, monstre d’homme vilain, sale. Baisez-moi et taisez-vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 35-36
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette

Notes

[2Charles Hugo est allé à Rennes pour passer son baccalauréat, qu’il a obtenu le 9 Janvier.

[3Allusion à Empsaël et Zoraïde : les Blancs esclaves des Noirs à Maroc de Bernardin de Saint-Pierre (1797).

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