1er janvier 1848, samedi matin, 8 h. ½
Bonjour, mon Victor, bonjour, avec tout ce que j’ai de plus doux, de meilleur et de plus tendre dans le cœur, bonjour, joie, santé et bonheur à toi et à tous ceux que tu aimes. Je crois, quoi que tu en dises, que tu seras pris aujourd’hui toute la journée et même encore le soir. Je crois qu’il te sera très difficile, pour ne pas dire impossible, de te soustraire aux visites et aux affections de toutes sortes qui t’enlaceront de toute part. Je me dis cela d’avance pour me résigner peu à peu à ne pas te voir beaucoup aujourd’hui, quitte à être agréablement surprise si je me suis trompée dans mes maussades prévisions. Cher adoré, je me suis redonnée mes étrennes tout à l’heure en relisant mes deux bonnes petites lettres adorées. Rien ne vaut pour moi le bonheur de posséder ces deux ravissantes petites lettres [1] et je ne les changerais pas contre tous les trésors de l’univers. Aussi je suis heureuse, heureuse, bien heureuse, et je t’aime, je t’aime, je t’aime. J’attends Mme Guérard ce matin. Tu serais bien gentil de venir nous surprendre dans notre orgie échevelée. Mais je n’ose pas l’espérer. Je n’y compte même pas du tout, hélas ! Je sais trop que tu ne t’appartiens pas et encore moins aujourd’hui que les autres jours. Aussi je n’y compte pas du tout mais je le désire tant que je peux.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16366, f. 1-2
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
1er janvier [1848], samedi matin, 11 h.
Je voudrais être prête pour quand tu viendras, mon petit homme, et je n’ai encore rien commencéa tant je suis veule et agitée. Cependant il faut que je me sorte de cette espèce d’état nerveux qui me rend stupide et apathique. J’ai prié le bon Dieu de pardonner à cette pauvre malheureuse. Je ne peux rien faire de plus pour cette pauvre femme. Maintenant il faut que je tâche d’oublier cette triste catastrophe et que je m’occupe de mes affaires. C’est ce que je vais faire dès que je t’aurai fini mon insignifiant gribouillis. Tu ne peux pas te figurer à quel point j’aurais préféré rester chez moi ce soir, même sans l’espoir de te revoir. Le mauvais temps et la mauvaise disposition d’esprit me rendent la course à Sablonville [2] difficile et désagréable. Par exemple je reste chez moi demain. Malheureusement il n’est pas probable que je te verrai davantage à cause de tous ces micmacs politiques que le diable emporte [3]. Pour mon compte je suis très ennuyée que tu sois fourré dans cette stupide Assemblée où on ne fait que des bêtises depuis le matin jusqu’au soir [4]. S’il dépendait de moi que tu n’en sois pas je t’assure que je ne t’y laisserais pas vingt-quatre heures tant je souffre de te savoir mêlé à tout ce hideux gâchis, sans compter l’ennui que j’ai de ne pas te voir plus de cinq minutes par jour. En attendant, je ne suis pas peignée, ta tisane n’est pas faite et je suis toute détraquée. Baise-moi, mon Victor, pour me redonner un peu de nerf et de courage et tâche de ne pas venir de trop bonne heure pour que je puisse te conduire à la Chambre. Et puis je t’aime, tu es ma vie, mon bonheur, mon âme.
Juliette
MVH, 8031
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux
a) « commencer ».
b) « ennuyé ».
1er janvier 1848, samedi midi
Le déjeuner est mangéa, Mme Guérard est partie et mon Toto n’a pas encore montré le bout de son nez et je n’espère pas même le voir de la journée, trop heureuse s’il vient ce soir. En attendant, j’emploie le temps le mieux que je peux en lui écrivant tout ce qui me passe par le cœur, quitte à l’ennuyerb beaucoup et à lui faire lire des millions de fois la même chose. À qui la faute ? Un peu à moi, je ne dis pas non, mais la plus grosse moitié est à Toto qui me laisse trop de temps à ne savoir que faire de mon amour. Il faut bien que je l’emploie à couvrir de l’affreux papier puisque je ne peux en couvrir ni ses cheveux, ni ses yeux, ni ses lèvres de ce même amour, ce qui seraitc cependant d’un emploi plus approprié et plus doux pour moi du moins. Toujours est-il que ne sachant que faire de mon cœur, je lui fais faire de la gymnastique à travers des mots plus fourchus, plus tordus, plus bossus, plus biscornus les uns que les autres. Cela ne l’amuse pas excessivement mais cela l’occupe et c’est toujours autant de gagné. En attendant, je t’aime mon Victor et je crains bien de t’aimer longtempsd dans la solitude.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16366, f. 3-4
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
[Souchon]
a) « manger ».
b) « ennuier ».
c) « ce qui serai ».
d) « long-temps ».
1er janvier 1848, samedi soir, [6 h. ?]
J’espère, mon pauvre bien-aimé, que je ne te fais pas grâce d’aucun de mes gribouillages. J’abuse de tes deux adorables petites lettres pour t’accabler de mes insipides griffouillis. Mais c’est qu’en vérité cela me donne autant de joie que cela te causera d’ennui. Si j’étais généreuse, je m’abstiendrais mais je ne le suis pas du tout, au contraire. Si je m’en croyais, je gribouillerais du noir sur du blanc sous prétexte d’amour, jusqu’au moment où tu viendras [illis.] la rame de papier n’y suffirait pas alors car il n’est que trop probable que tu ne viendras pas avant ce soir bien tard et peut-être un moment seulement. J’en ai plus [peur que d’envie ?].
À propos, j’oubliais de te dire que j’avais vu le fils de Mme Luthereau, celui qui reste à Paris [5]. Il venait me faire visite. J’oubliais encore de te dire que Mme Guérard m’a apporté les deux fameux écrans qu’elle m’avait fait choisir. Je suis sûre que tu les trouveras charmants. Du reste, puisqu’elle avait l’intention de me donner quelque chose, j’aime autant que ce soit moi qui aie choisi ce QUELQUE CHOSE.
Mon Dieu que je crains de ne pas te voir avant ce soir. Je ne sais pas pourquoi cette pensée ne me sorta pas de la tête. Jamais pourtant je ne t’ai plus désiré. C’est peut-être cela.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16366, f. 5-6
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
a) « sors ».