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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 décembre [1847], samedi matin, 9 h.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, mon pauvre petit réveillon, bonjour mon divin ouvrier, bonjour je t’aime. À la bonne heure, je me reconnais sur ce papier-là. Tandis que sur l’autre glacé j’avais peine à m’y tenir, ma plume glissait et s’épatait tout de suite tout comme mon STYLE. Ici je marche comme dans du COTON et il me semble que mes inepties ne font pas de bruit et passent en silence comme une lettre…a à la poste. Aussi je l’aime mon hideux petit papier et le trouve charmant.
Mon cher petit bien-aimé, il faudrait que tu demandes à Vacquerie de te donner la loge [1] la veille pour le lendemain. Sans cela je ne pourrai pas l’envoyer utilement chez Mme Guérard qui ne dîne jamais chez elle et qui ne rentre que pour se coucher. Cependant je tiens beaucoup à lui faire cette politesse ainsi qu’à son vieil ami M. Cacheux. Je t’écris toutes ces explications parce qu’il est probable que je n’aurai pas le temps de te les dire de bouche ou que je l’oublierai.
Je voudrais bien savoir quand notre tour viendra à nous de flâner et de batifoler chez nous et ailleurs ? Il faut convenir que nous employons bien ennuyeusement le reste de notre jeunesse. Encore pour toi la gloire sera-t-elle une compensation ; mais pour moi ? Je n’aurai que le souvenir de ces longues et mortelles journées de solitude, de ces laborieuses soirées silencieuses où les yeux mêmes n’ont pas le droit de parler. Aussi je suis profondément… Je ne veux pas achever ma pensée, elle t’affligerait inutilement. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, voilà.

Juliette

MVH, α 8023
Transcription de Nicole Savy

a) Quatre points de suspension.


25 décembre [1847], samedi midi

Vous savez que c’est aujourd’hui mon ménage à fond et ma grande peignerie. Aussi vous ne vous étonnerez pas que je reste chez moi de midi à une heure  ? D’abord n’eussé-jea rien de tout cela à faire, je n’en sortirais pas davantage car je suis morte de froid. Je ne peux même pas tenir ma plume et pourtant je suis auprès du poêle et j’ai une chaufferette. On ne peut pas se figurer à quel point ce logement est froid. Depuis que j’y demeure, je crois que je ne me suis pas réchauffée, jamais entièrement. Ce n’est pas une plaisanterie. Dans l’autre logement, je faisais tout l’hiver ma toilette sans feu. Maintenant je me couvre davantage et je suis constamment transieb ! Je ne connaissais pas les inconvénients d’un appartement au nord, maintenant je suis suffisamment renseignée, et il ne m’arrivera plus d’en reprendre d’autre volontairement, et surtout au rez-de-chaussée.
J’attribue la maussaderie de mes gribouillis à l’influence de la température. Peut-être serait-il plus juste de ne l’attribuer qu’à moi seule, mais j’aime mieux y associer le thermomètre, qui n’en peut mais, et à qui cela ne fait pas de tort que de rester chargéc de tout le poids de mon ineptie. D’ailleurs tu en crois ce que tu veux. Mais tu sais que plus on a froid extérieurement, plus on a chaud intérieurement. Aussi mon cœur est-il tout bouillant. Si tu veux t’en assurer, tu n’as qu’à venir, au risque de te brûler les lèvres et d’y griller ton âme. En attendant je continue de grelotter et de t’aimer avec une égale constance. Jour Toto, jour mon cher petit O, je vous adore.

Juliette

MVH, α 8024
Transcription de Nicole Savy

a) « n’eussai-je ».
b) « transi ».
c) « charger ».

Notes

[1À cette date, il s’agit encore du Hamlet adapté par Dumas et Meurice, et donné au Théâtre historique.

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