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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 décembre [1847], samedi matin, 9 h.

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour vous, bonjour toi, bonjour tout ce que j’adore. Bonheur à toi et à tous les tiens. Je te remercie, mon doux adoré, d’avoir bien voulu me lire [1] hier malgré l’heure avancée de la nuit, la fatigue et la faim que tu devais avoir. Si je n’avais écouté que mon bonheur j’aurais insisté jusqu’à ce que tu tombes épuisé mais j’ai eu la conscience de ne pas trop penser qu’à moi et je t’ai laissé partir avec assez de bonne grâce. Pauvre aimé, as-tu trouvé un bon souper au moins ? As-tu mangé de bon appétit et t’es-tu couché tout de suite ? Est-ce que ces longues veilles et ce repas pris si tard ne te font pas de mal ? [2] Il me semble que cela doit te déranger l’estomac. Si cela était, mon pauvre bien-aimé, il faudrait bien te garder de continuer car tu pourrais déranger ta splendide santé pour toujours. En somme il vaudrait mieux finir ton livre un mois plus tard que de compromettre ta santé. Hélas ! Tout ce que je dis là et puis rien c’est la même chose. Je n’ai pas assez d’autorité à tes yeux pour que mes avis soient de quelque poids dans ton opinion. Il n’y aura que la triste expérience qui pourra te convaincre plus tard que tu as trop abusé de ta force, de ton courage et de ton dévouement mais alors il ne sera plus temps et je serai punie en même temps que toi par où je n’aurai pas péché. En attendant cette inévitable conséquence d’un travail féroce je te baise de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 272-273
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette


4 décembre [1847], samedi après-midi, 3 h.

Quel temps lugubre, mon pauvre petit homme. Je ne peux pas trouver un seul coin de mon cerveau à sec. Tout y est dans une brume et dans une vapeur noire qui ressemble au temps à s’y méprendre. Si je ne t’attendais pas bientôt je sens AGRERRRRRRRR que je serais d’une humeur insupportable. Heureusement que j’ai cette douce et lumineuse espérance pour me faire prendre patience et courage. Cela ne m’empêchera pas pourtant de vous dire que vous êtes beaucoup trop galant pour Mme Bourel. Je vous prie de garder vos bonnes grâces pour moi et de laisser cette dame à son mari et à sa littérature. Si vous avez absolument besoin d’une admiratrice je suis là, moi, et j’en vaux bien une autre et même deux millions d’autres. Si vous tenez à envoyer des spectatrices aux aristocraties j’ai autour de moi des Guérard, des Triger et autres Cacheux qui ne demanderont pas mieux que de vous rendre ce service. Enfin si vous ne savez que faire de vos billets doux je suis très femme à leur donner l’hospitalité sans rien vous demander pour cela. Vous voyez donc bien que vous n’avez pas besoin d’aller chercher si loin les Bourel que vous avez auprès de vous. Sur ce baisez-moi et tâchez de ne pas vous ficher de moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 274-275
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

Notes

[1Probablement s’agissait-il d’une lecture de Jean Tréjean, futurs Misérables.

[2À la date du 29 novembre 1847, Victor Hugo note dans ses Carnets : « Repris Jean Tréjean. Je ne dîne plus qu’à une heure du matin. » On comprend mieux ainsi la sollicitude et l’inquiétude de Juliette.

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