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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 novembre [1847], samedi matin, 7 h. ¼

Bonjour, mon Toto, bonjour à la lueur de l’aube, car je ne veux pas être en retard cette fois avec Mme Guérard et je veux encore moins sortir sans t’avoir donné mon pauvre petit bonjour frilotteux [1], mais bien tendre et bien affectueux. J’espère que tu ne viendras pas pendant mon absence. D’abord je vais me dépêcher de revenir pour ne pas te manquer (dans le cas où tu viendrais dans la matinée [2]. Je suis trop fâchée quand par hasard je manque une seule de tes précieuses visites.
Il fait un temps de chien, le brouillard tombe par écuellées comme celui de M. de Vendôme [3] et on n’y voit pas même jusqu’au bout de son nez. Je suis toute transie et toute reguerlie [4]. Le proverbe : Il faut souffrir pour être belle n’a jamais été plus justifié qu’aujourd’hui. Je crois même que si je n’avais pas donné parole à Mme Guérard, j’aurais préféré me dorlotera chaudement dans mon lit et être laide dans toute l’acception du mot. Maintenant il n’y a plus à reculer, la pluie est tirée, il faut la recevoir sur sa bosse et sourire stoïquement à son bonheur. Quel bonheur ! Voime voime, je t’en fiche, mais je t’adore.

Juliette

MVH, α 8002
Transcription de Nicole Savy

a) « dorlotter ».


13 novembre [1847], samedi soir, 9 h.

Hélas les verrous sont tirés et je n’ai plus le moindre petit espoir de te voir avant demain. Cependant tout à l’heure l’oncle de Suzanne m’a fait une fausse joie en sonnant à ma porte. J’ai cru un moment que c’était toi. D’abord je crois toujours que c’est toi. Il me semble que personne autre que toi ne doit se permettre de sonner à ma porte quand tu es absent. Cette prétention mal fondée, si elle était accueilliea, ne tendrait à rien moins [5] qu’à faire de moi une recluse des plus recluses, ce qui ne t’en ferait pas venir un quart d’heure plus tôt, au contraire.
Cher adoré bien-aimé, pendant que tu es en proie à toutes les minauderies et à toutes les séductions féminines, moi je pense à toi et je t’écris bien honnêtement à côté de mon feu éteint, triste emblème de mon bonheur, et je te dis que je ne t’ai jamais plus aimé que ce soir. Jamais mes yeux ne se sont portés sur ton charmant portrait avec plus d’amour, jamais mes lèvres n’ont eu plus le désir de se rapprocher des tiennes, jamais ma pensée n’a été plus vite au-devant de ton souvenir, jamais mon cœur n’a été plus ému et mon âme plus ravie que dans le moment où je t’écris ces froides et insignifiantes paroles, que ta présence changerait bien vite en tendres et douces caresses.

Juliette

MVH, α 8003
Transcription de Nicole Savy

a) « acceuillie ».

Notes

[1Dérivé par Juliette de « frileux », pour plus d’expressivité.

[2Juliette oublie de refermer la parenthèse.

[3M. de Vendôme faisant marcher ses troupes par tous les temps, le brouillard de M. de Vendôme, expression proverbiale, désignait une grosse pluie.

[4Vieux mot paysan : ridée, ratatinée.

[5Pour « rien de moins ».

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