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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 août 1847

8 août [1847], dimanche matin, 7 h. ½

Bonjour, mon Victor aimé, bonjour mon Toto. Il est probable que tu dors encore et que mes baisers et ma pensée ne t’arriveront qu’à travers des rêves plus ou moins folâtres et cependant Dieu sait que je ne la suis guère, folâtre. Je pense avec chagrin que tu ne veux pas venir chez moi avant minuit, heure de mon premier sommeil auquel il est impossible de me soustraire dans la solitude où je vis. Je ne trouverais pas extraordinaire que cela t’arrivâtª quelquefois parce que je sais bien que tu travailles. Mais je ne comprends pas que ton cerveau fonctionne avec cette régularité de pendule et que tu ne sois jamais libre tous les soirs qu’à minuit. Ceci a plutôt l’air de cacher une intrigue qu’un travail et en effet c’est bien plutôt l’heure de quitter une femme du monde chez laquelle on ne peut pas coucher que l’heure de venir chez une maîtresse à laquelle on ne parle même pas le plus souvent [1]. Je ne sais pas pourquoi j’ai le pressentiment que j’apprendrai bientôt quelque affreuse trahison de toi. Il me paraît impossible que cette conduite si peu vraisemblable soit parfaitement honnête et loyale. Dans tous les cas elle serait toujours très peu tendre. Du reste si ta conduite est toujours la même depuis longtemps, mon rabâchage quotidien ne varie pas non plus beaucoup. Cela prouve une grande persistance de part et d’autre. Reste à savoir lequel de nous deux est le plus fidèle et le plus amoureux. Je crois que le choix ne serait pas long ni difficile pour personne. En attendant que la vérité se fasse jour je t’aime et je passe ma vie à te le dire dans la solitude et dans la tristesse.b

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 180-181
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « arriva ».
b) Ajouté d’une autre main avant la signature : « 29 Icart ».


8 août [1847], dimanche, midi ½

Mon Toto aimé, je tourne toujours dans le même cercle d’idées qui doivent finir par bien t’ennuyera, je le sens sans pouvoir y remédier. Le mieux serait de ne pas t’écrire. Dis un mot et je rentrerai ma plume D’OIE au fourreau. Ne fais pas de fausse tendresse aux dépensb de tes yeux et de ta patience. J’aime mieux que tu ne te condamnes pas à lire toutes les tendres stupidités que je t’écris et que tu viennes plus souvent auprès de moi. Aujourd’hui par exemple tu serais bien gentil de venir de bonne heure car tu sais que j’aurai de la SOCIÉTÉ tantôt et quelle société !!!!!c
D’y penser mon peu de cervelle s’en fige dans mon cerveau. Tu sais que tu ne peux pas venir le dimanche soir. Ainsi je ne te verrai pas aujourd’hui à peine si tu n’as pas la générosité de venir plus tôt que d’habitude. Il est vrai que je te fais ces supplications que tu ne liras que vingt-quatre heures après leur opportunité. C’est assez bête mais c’est comme cela. Il paraît que Fouyou a passé la nuit dans le jardin mais non par votre faute. Aussi je ne vous en veux pas. Seulement je vous ferai observer à quel point ce malheureux chat pousse le besoin et la passion nocturne de mon jardin afin que vous vous dépêchiez de satisfaire son goût en lui achetant en légitime propriété huit nuits de ce même jardin. C’est la dernière fois que je vous en parle parce que je trouve au-dessous de ma dignité de vous offrir ma marchandise tous les jours sans succès. Baisez-moi si vous pouvez et aimez-moi si vous l’osez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 182-183
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « ennuier »
b) « dépends »
c) Les cinq points d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.

Notes

[1Les craintes de Juliette Drouet sont justifiées : Victor Hugo enverra le 14 août à l’actrice Alice Ozy un quatrain sur son lit.

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