18 septembre 1856

Guernesey, 18 septembre 1856, jeudi après-midi, 3 h.

Cher adoré, je ne peux pas croire que ce pauvre petit Triboul soit perdu à tout jamais et que je ne l’entendrai plus te dire toutes sortes de choses tendres et profondes avec sa petite queue spirituelle. J’espère qu’il se sera arrêté dans quelque maison hospitalière pour s’y reposer et se réconforter et que nous allons le voir arriver sain et sauf et aussi heureux de nous retrouver que nous le serons nous-mêmes de le revoir. En attendant, je regrette que ce petit incident attriste pour le moment le souvenir de notre charmante excursion d’hier. Sans compter que le temps ne se prête guère aux idées roses et qu’il vous inspirerait bien plutôt des variations sur le De Profundis. Tout cela ne me donne pas le plus petit mot pour rire et je crains que ma pauvre restitus ne s’en ressente plus que de raison. Cependant, mon bien-aimé, je ne t’ai jamais plus adoré ni plus admiré qu’aujourd’hui et si je ne te le dis pas mieux, ce n’est pas de ma faute. La poste doit être arrivée depuis longtemps. Est-ce que tu ne vas pas bientôt venir ? Il te sera aussi facile d’écrire et de travailler auprès de moi que dans ta chambre et j’y gagnerai le bonheur de te voir. Pensez-y, mon bon petit homme, et dépêchez-vous de venir si vous ne voulez pas que je me perde comme Triboul et pour toujours. En attendant, je vous attends sur mes quatre pattes et je vous baise avec rage. Vous savez que vous allez chez les Duverdier ce soir et que je ne vous verrai pas aujourd’hui si vous ne vous hâtez pas de venir ? Mon bon petit homme, viens vite. Je t’aime.

Bnf, Mss, NAF 16377, f. 232
Transcription de Mélanie Leclère, assistée de Florence Naugrette