Guernesey, 24 mai 1856, samedi matin, 11 h.
Que tu es bon d’être venu me voir ce matin, mon cher petit homme, et que je suis bête d’avoir malgré cela une affreuse migraine qui m’empêche d’être aussi heureuse que je le devrais. Je ne sais pas à quoi cela tient, mais j’ai depuis plus d’un mois un mal de tête permanent qui m’ôte tout courage et toute liberté d’esprit. C’est au point qu’il m’est impossible de te parler d’autre chose quoique je sente dans mon cœur toute une histoire d’amour que j’aimerais à te raconter. Mais la stupide migraine ne me laisse aucun répit et il faut bon gré mal gré que je la subisse et que je t’en occupe depuis le matin jusqu’au soir, ce qui n’est pas amusant. Il est vrai que tu t’es dédommagé avec les lettres de M. de Rougemont mais moi je n’ai même pas cette [fiche ?] de consolation aussi je m’embête à l’heure et à la course avec emportement. Je voudrais que nos meubles [1] fussent arrivés pour savoir si il n’y a pas de trop grandes avaries à déplorer et pour n’avoir plus à m’occuper de toute cette affaire qui n’est rien moins qu’amusante pour tous ceux qui vont s’y trouver mêlés. En attendant, mon pauvre petit bien-aimé, je t’aime malgré tous les efforts de la migraine pour s’emparer de moi tout entière et je te baise à son nez et à sa barbe.
Juliette
BnF, Mss, NAF, 16377, f. 154
Transcription de Chantal Brière