Guernesey, 19 mai 1856, lundi matin, 7 h.
Bonjour, mon cher petit tout bien-aimé, bonjour, dans un long baiser de ma bouche à la tienne, bonjour. Je vais me mettre tout à l’heure à copire le bail pour que tu n’attendes pas après. Si je ne te vois pas d’ici à tantôt, il faut que je te prévienne que j’irai chez ma couturière faire rectifier des manques dans les choses qu’elle m’a envoyées samedi. J’espère n’y pas être plus d’une heure. De là j’irai au marché avec Suzanne pour m’informer de ce que je peux vous donner à baffrer mercredi de très bon et de pas cher. Puis je reviendrai par la petite rue qui descend du marché à l’église, tu vois d’ici l’itinéraire, ce qui ne m’empêchera pas d’être revenue de très bonne heure. Je ne te demande pas si tu me feras sortir car je sais que tu ne le peux pas mais j’en ai une envie de chien. En attendant je regarde courir les nuages sur la mer et c’est très beau. C’est la première fois depuis que nous nous aimons que nous aurons laissé passer tout un printemps sans lui donner signe de vie. C’est triste. Je t’aime, mon Victor, je ne devrais pas sortir de là parce que tout ce que je te dis ensuite n’est que du rabâchage maussade et stupide. Baise-moi et aime-moi et mon cœur sera en fleur.
Juliette
BnF, Mss, NAF, 16377, f. 151
Transcription de Chantal Brière