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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 juillet [1847], lundi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon aimé, bonjour mon plus qu’aimé Toto, bonjour mon adoré Toto, bonjour je te baise de l’âme. Tu as bien fait de ne pas revenir par cet affreux temps. Lorsque j’insistais hier pour te faire revenir, c’est que je pensais qu’il y aurait peut-être un temps de repos pour la pluie pendant lequel tu pourrais revenir m’apporter ma chinoise [1] et m’embrasser. Et à ce sujet je vous dirai que ma rapacité ne va pas jusqu’à vous envoyer chercher votre bonne femme chez vous. Autant j’aurais eu de joie à ce que vous me l’apportassiez, si le temps l’avait permis, autant elle m’aurait été indifférente si je l’avais envoyé chercher. Voilà comme je suis.
Vous savez que je ne vous ferai la copie de votre dessin, y compris les OMBRES, que lorsque vous m’aurez donné une culotte. Une bonne et solide culotte. Parce qu’il y a culotte et culotte et celle que vous me devez depuis si longtemps est une des plus grandes qu’on puisse faire sur mesure. Maintenant c’est à vous de voir quand vous désirez être en possession de ce futur chef-d’œuvre. Je vous attends pour n’en pas perdre la désagréable habitude.
Quel affreux temps, mon pauvre Toto, j’espère que tu n’es pas forcé d’aller à la Chambre aujourd’hui ? Dans le cas où tu serais obligé d’y aller j’irai t’y chercher. Je n’ai que cette occasion d’être avec toi et je la mettrai à profit malgré vents et maréesb. J’aime encore mieux être mouillée jusqu’aux os que d’avoir le cœur trop sec. Chacun son goût. Baisez-moi et aimez-moi, mon Toto, car j’en ai bien besoin. Je vous adore.

Juliette

MVH, α 7951
Transcription de Nicole Savy

a) « renouveller ».
b) « vent et marais ».


26 juillet [1847], lundi, midi ¼

Quel temps, mon Dieu ! Jamais, depuis bientôt trois ans que je demeure ici, la pluie n’avait passé à travers les fenêtres comme aujourd’hui. Les rideaux sont trempés et les tentures aussi. Enfin, mon cher petit Toto, je tremble à chaque instant que mon unique abricotier n’aille rejoindre son camarade. Du reste les plus beaux abricots sont jetés à terre par le vent. Les pots de fleurs des voisins se brisent sur mes dalles, c’est un vrai désastre. Tout cela m’attriste malgré moi : il me semble qu’il fait noir dans mon cœur et qu’il pleut sur mes pensées. Cela tient à ton absence, mon beau soleil, si tu étais auprès de moi je ne verrais pas ce qui se passe au dehors et ma vie serait pleine de joie et de rayons. Quand te verrai-je mon Victor ? Est-ce que tu iras à la Chambre aujourd’hui ? Je t’attends avec une impatience proportionnée à mon amour. Il semble que les battements de mon cœur poussent les secondes en avant pour les faire arriver plus vite à l’heure où tu dois venir. Tout mon être se précipite au-devant de toi comme si cela pouvait te faire arriver plus tôt. C’est une perpétuelle et agaçante activité intérieure qui fait ressembler ma vie à ces condamnés anglais qui marchenta dans une roue sans avancer d’un pas. Pardonne-moi, mon cher adoré, toutes ces pluvieuses divagations qui ne peuvent que t’ennuyer et te fatiguer inutilement. Je sais que tu travailles, et que tu es mon noble et grand Victor incapable d’une trahison envers la pauvre femme qui t’a donné plus que sa vie. Je baise tes divins petits pieds et je t’adore.

Juliette

MVH, α 7950
Transcription de Nicole Savy

a) « marche ».

Notes

[1Un dessin, ou plus probablement une statuette ? Victor Hugo était très amateur de chinoiseries.

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