14 juillet [1847], mercredi matin, 8 h. ½
Bonjour, cher aimé, plus qu’aimé, bonjour, toi, Toto, bonjour, vous, grand Victor. Je croyais ne pouvoir pas t’écrire ce matin avant de sortir mais l’exactitude de Mme Guérard m’en laisse le temps, ce dont je suis bien aise entre nous. Je déteste sortir sans t’avoir gribouillé un mot d’amour. Je crois que s’il m’arrivait de mourir subitement sans avoir pris la précaution de te laisser un mot de tendresse en guise d’adieu, je ne me le pardonnerais jamais. Ce n’est pas légèrement que je te dis cela, mon bien-aimé, mais du fond du cœur et très sérieusement. Il est probable que Mme Guérard aura changé d’avis car elle devait être ici à huit heures du matin, et voici qu’il en est bientôt neuf, et elle ne vient pas. Quant à moi, cela m’est égal car je ne me suis même pas habillée par prudence. Je me suis débarbouillée seulement. J’ai fait ton eau [1] et j’ai déjeuné. Il est probable que j’irai tantôt à Saint-Mandé [2]. J’ai dans mon jardin dans ce moment-ci des roses blanches que je veux porter à ma pauvre fille et si Mme Guérard ne vient pas, j’irai tantôt les lui porter. Je pense que cela ne te contrarie pas. C’est un besoin de mon cœur que tu comprendras mieux que je ne saurais te le dire. Je t’aime, mon Victor.
Juliette
Harvard
[Barnett, Pouchain]
14 juillet [1847] mercredi après-midi 4 h.
Tu sais que Mme Guérard est venue quand je ne l’attendais plus, mon doux amour, ce qui fait que, ne voulant pas la désobliger en n’allant pas avec elle, je n’ai pas pu être revenue assez tôt pour te voir, ce qui m’a plus que contrariée. Du reste, je te ferai remarquer tristement, quoique sans amertume, que tu ne viens jamais le matin quand tu me crois seule. Ce serait cependant le moment et je n’aurais pas le regret de t’avoir manqué comme ce matin. Enfin, je ne veux pas trop insister sur ces hasards malencontreux pour ne pas finir ma lettre par des reproches après l’avoir commencéea par des plaintes affectueuses. Je suis revenue à 11 h. ¼ et puis je suis allée à Saint-Mandé [3] à 1 h. Depuis que j’en suis revenue, j’ai écrit mon linge et compté ma dépense sans parler du nettoyageb hideux que je me suis fait. Tout à l’heure je me rhabillerai pour aller au-devant de toi et je tâcherai de n’être pas en retard comme hier. J’ai hâte de savoir si tu as pu adoucir la condamnation de ce pauvre M. de C. [4] et surtout j’ai hâte de revoir ta noble et ravissante tête qui fait mon bonheur et ma joie. D’ici là je pense à toi, je t’aime, je t’adore et je te baise de toute ma pensée, de tout mon cœur et de toute mon âme.
Juliette
Harvard
[Barnett, Pouchain]
a) « commencé ».
b) « nétoyage ».