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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 décembre [1838], jeudi midi

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon bon petit homme. Comment vas-tu ce matin mon adoré ? Je suis encore dans mon lit où je reste le plus que je peux pour économiser mon bois. Je viens de recevoir une lettre de Mme Pierceau que j’ai décachetée en ayant reconnu l’écriture. Elle m’annonce qu’elle ne viendra pas aujourd’hui dîner chez moi comme elle me l’avait dit dimanche. Cela m’est d’autant plus égal que j’ai l’espoir de souper avec toi et que cet espoir-là vaut mieux que toutes les certitudes de dîner avec toutes les Pierceau du monde quoique celle-ci soit vraiment une très bonne femme….. Si tu vois Anténor Joly tantôt tâche donc d’en tirer des grognements articulés qui nous apprennent sur quel pied nous devons danser car notre position à ce théâtre commence à devenir gênante pour ne pas dire ridicule. Il est probable que si tu t’y prends bien tu pourras en tirer ce qu’il contient c’est-à-dire la stupidité et la nullité la plus développée qui se puisse trouver sous la calotte d’un directeur. Et puis enfin si je suis condamnée à être MURÉE VIVE entre quatre coulisses il vaut autant que ce soit par les maçons du Doge Alessandro [1] que par tout autre. Je montrerai tout le courage et toute la résignation dont est capable une faible femme aux prises avec le mauvais sort, les mauvais rôles et les mauvais directeurs. Je t’adore, n’oublie pas ça.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16336, f. 254-255
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Gérard Pouchain


20 décembre [1838], jeudi soir, 8 h.

Où es-tu mon pauvre petit homme pour que j’aille en pensée te baiser et te réchauffer car à moins d’être devant un bon feu, il est impossible de n’être pas transi par l’humidité et le brouillard qu’il fait ! Aussi mon pauvre ange malgré votre admirable paletot, je grelotte pour vous et pour moi dans mon coin et je voudrais pouvoir vous couvrir de mon corps pour vous donner de ma chaleur et prendre de la vôtre, ce qui serait un échange charmant et des plus réchauffantsa. Je suis de plus en plus convaincue de la stupidité de Joly et de ton admirable et inépuisable patience ; cependant je m’attends à quelque effroyable cacade un de ces jours de la part de l’homme bête et sourd, et de l’homme bête, canaille et vaudevilliste [2] qui dirigent ce malheureux théâtre. Je vais dire comme Frédéric [3] que cela ne tatteint pas, toi, mais moi c’est le coup de la mort que ces honnêtes gens vont me donner, sans le moindre profit pour eux et sans le moindre remordsb. Aussi ne suis-je pas sans colère et sans indignation contre ces deux imbécilesc qui cumulent à eux deux la surdité et la mauvaise foi. Je voudrais que le diable les emportât et mît à leur place le premier chien coiffé venu. Il n’en faut pas davantage pour faire un directeur et beaucoup moins pour remplacer les deux bipèdes que nous avons l’honneur de connaître. Et puis je vous baise de toutes mes forces sur votre joli petit mufled.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16336, f. 256-257
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Gérard Pouchain

a) « réchauffant ».
b) « remord ».
c) « imbécille ».
d) « muffle ».

Notes

[1Sous cette figure du pouvoir, c’est vraisemblablement Alexandre Dumas qui est visé.[Remerciements à Sylviane Robardey-Eppstein.]

[2C’est le second directeur du Théâtre de la Renaissance, Ferdinand de Villeneuve, qui est visé.

[3Allusion à élucider.

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