10 novembre 1838

Samedi 10 novembre [1838], après-midi, 1 h. ½

On voit bien mon cher petit homme, à l’abondance de vos promesses, qu’elles ne vous coûtent pas grand chose, pas même la peine de les tenir. J’ai passé le reste de ma nuit seule, ainsi que je le fais depuis assez longtemps. Cela m’est d’autant plus pénible que je n’ai pas une confiance bien grande dans votre continence.
Je suis triste, triste, et même l’espoir d’une bonne soirée avec Ruy Blas ne me console qu’à moitié. J’espère que vous m’aurez ma loge, car enfin vous en avez eu beaucoup d’autres pour ce soir, et je ne vois pas pourquoi M. A. Joly vous refuserait une baignoire quand il vous donne des premières loges ? À moins cependant que ce ne soit dans l’espoir de vous être agréable.
Je ne suis pas geaie ce matin, mes maux de reins en sont peut-être un peu la cause. Je pense que si je vous voyais un moment cela se dissiperait un peu, mais il y a beaucoup de chance pour que je souffre toute la journée. J’ai mal à la tête. J’ai mal à l’âme. Il n’y a pas de raison pour que je m’arrête dans la continuation de tous ces maux puisque c’est tous les jours la même solitude, les mêmes inquiétudes, les mêmes chagrins.
J’aurais aussi des explications à vous demander sur votre soirée d’hier : je n’ai pas bien compris comment ayant passé des instants fort courts dans la salle de théâtre, et après être allé complimenter M^lle Théodorine, vous avez rencontré à la porte ce groupe de comédiens ? Peut-être est-ce plus simple que je ne le crois, mais enfin je ne sais pas, et je voudrais savoir.
À tantôt peut-être. Je t’aime, et je suis bien triste.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16336, f. 136-137
Transcription d’Élise Capéran assistée de Florence Naugrette