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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21a octobre [1838], dimanche matin, 11 h. 30

Bonjour, mon cher petit homme adoré, bonjour, mon cher bien aimé. Pardonne-moi d’avoir été si méchante cette nuit, je souffre au-delà de toute expression quand je suis dans mes accès de jalousie. C’est ce qui me rend excusable, et digne de pitié à mes propres yeux.
Pauvre bien aimé adoré, à peine es-tu parti cette nuit que j’ai senti et reconnu tous mes torts. J’aurais voulu pouvoir courir après toi et te baiser les pieds. Tu es la bonté divine, toi. Je ne sais pas comment te dire cela car mon cœur déborde d’amour et noie toutes les expressions de la langue humaine. Je t’aime, je t’aime, je t’aime.
Comment vont tes yeux mon cher petit homme ? Je suis inquiète et triste car tu en souffrais beaucoup cette nuit malgré ton courage, et ton adorable bonté à me cacher tout ce qui peut m’affliger. Je t’aime, va, je t’aime de toute mon âme, pauvre bien aimé. Qui est ce qui ne t’aimerait pas à genoux si tu te montrais à tout le monde comme à moi, c’est à dire le plus généreux, le plus dévoué, le plus indulgent, et le plus admirable des hommes. Et encore, je ne compte ni ta beauté surhumaine, ni ton génie. Aussi je t’aime passionnément. Je t’aime trop quelquefois, si on peut t’aimer trop.
Pauvre adoré, je vais faire ta tisaneb. Je baise tes petits pieds roses et tes petites pattes blanches.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16336, f. 71-72
Transcription d’Élise Capéran assistée de Florence Naugrette

a) « 20 ».
b) « tisanne ».


21 octobre [1838], dimanche soir, 9 h. 30

Je suis bien contente, mon Toto, de souper avec toi. C’est si bon et si doux de vivre avec toi, et je te vois si peu et j’ai si bon appétit (d’amour). En vérité, je suis comme une ogresse qui sent la chair fraîche quand je sens roder dans un coin une heure de bonheur et de joie qui m’est destinée.
Cher bien aimé, mon bon petit homme, prenez garde à ce que vous ferez ce soir, je vous suis à pas de loup, prête à vous dévorer si vous commettez la moindre œillade coupable et illégitime. Prenez garde, bis, la dame ROUGE vous regarde [1].
La dame Pierceau ne viendra pas, tant mieux, ça fait qu’on ne mettra pas le couvert. Je prendrai des cheveux au bouillon, c’est très restaurant, et je vous attendrai d’estomac ferme et de cœur chaud.
Soir Papa, je ris mais j’ai la colique, oh là, oh là, oh là. Si vous ne répétez pas [2], je vous prie de venir très tôt. C’est aujourd’hui dimanche d’ailleurs, on ne doit pas travailler.
Pauvre bien aimé, tu auras bien assez de fatigue d’ici à deux ou trois jours, tu devrais au moins te ménager ce soir, et puis je te verrais davantage, ce serait bien i.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16336, f. 73-74
Transcription d’Élise Capéran assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Parodie d’un air de La Dame blanche, opéra-comique de Boieldieu et Scribe (1825) : « Prenez garde ! La dame blanche vous regarde ! ».

[2Ruy Blas, qui sera créé le 8 novembre, est en répétitions.

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