4 septembre [1838], mardi après-midi, 2 h. ½
Je suis prête, mon adoré, mais vous, vous ne l’êtes pas. M. Manière n’est pas encore venu et je crains qu’il ne vienne pas suivant sa louable habitude. Je suis triste, mon pauvre bien-aimé, je porte en moi le deuil d’un beau et admirable rôle qui est mort pour moi à tout jamais. Jamais Marie de Neubourg [1] ne vivra par moi et pour moi. J’ai un chagrin plus grand que tu ne peux te l’imaginer ; cette dernière espérance perdue m’a donné un coup terrible. Je suis démoralisée au point de ne pas oser jouer dans la pièce de n’importe qui un rôle de n’importe quoi. Je suis vraiment bien malheureuse. Pourtant, mon bon ange, je reconnais que ce n’est pas ta faute et que tu as tout fait pour lutter contre mon guignon, mais cela n’a servi qu’à montrer dans tout son jour ta persévérance et ton dévouement. Je suis bien découragée. Mon Dieu, qu’est-ce que je deviendrai ? C’est dans ce moment-ci qu’il faut que tu sois bon et indulgent car je souffre beaucoup. Aime-moi, aime-moi, aime-moi si tu veux que je vive. Moi je t’aime trop, c’est malheureusement bien vrai et tu le sais aussi bien que moi mais pour t’aimer moins, je ne le peux pas. Il faut que je t’aime comme il faut que je respire.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16335, f. 199-200
Transcription d’Élodie Congar assistée de Gérard Pouchain
[Souchon, Massin, Blewer]
4 septembre [1838], mardi soir, 6 h. ¼
Je voulais ne pas vous écrire, mon Toto, et voilà que la force de l’habitude l’emporte sur ma résolution. D’ailleurs je sens bien que ce n’est que moi que je punirais et ce serait ajouter un chagrin de plus à tous ceux que j’ai déjà. Votre coquetterie de tantôt a plus fait pour me désillusionner que toutes les froideurs et la négligence que vous me montrez depuis un an. Je sens bien que si un homme de votre caractère éprouve le besoin de se faire démasquer par la première femme venue, il faut qu’il aita le cœur bien vide et bien désœuvré. Je sais cela, je souffre, mais je saurai prendre un parti qui à défaut de bonheur me rendra la liberté et le sentiment de moi-même qu’un amour stupide m’avait fait perdre. Oh ! je souffre assez. L’effet que vous vouliez produire en faisant des agaceries à cette femme a dépassé votre espérance. Je souffre cruellement mais je songe sérieusement à me guérir de cette hideuse et honteuse maladie qu’on appelle l’amour.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16335, f. 201-202
Transcription d’Élodie Congar assistée de Gérard Pouchain
a) « qu’il faut qu’il ait ».