Guernesey, 18a décembre 1857, vendredib, 8 h. ¾ du matin
Bonjour, mon bon petit homme, bonjour, mon grand bien-aimé, bonjour ; je te souris et je t’aime avec les premiers rayons de ce pauvre soleil d’hiver que les nuages cachent et que le vent ride presque autant que les années me font à moi sans parvenir à éteindre ni même à froidir mon amour, ce soleil de mon âme. Tu sais pourquoi je ne t’ai pas gribouillé mes restitus pendant ces deux derniers jours que tu as occupé ma fameuse table jusqu’au dîner. Du reste je ne m’en plains pas puisque j’ai pu t’aimer sous tes yeux sans point ni virgule, sans jambage et sans alinéa, sans phrase et sans ineptie, toutes ces ronces et toutes ces rocailles de mon ignorance et de ma stupidité qui gênent mon cœur et l’empêchent d’aller droit à son but. Aujourd’hui je n’aurais peut-être pas la même bonne chance, c’est pourquoi je m’empresse de te donner le bonjour sous cette bête de forme. J’espère que tu auras passé une bonne nuit et que tu n’auras pas été mouillé hier au soir. En attendant que tu m’apportes toi-même de tes chères nouvelles je te baise au bec de mon affreuse plume et je t’adore de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16378, f. 229
Transcription de Chantal Brière
a) La date du 17 est modifiée pour celle du 18, d’une autre main.
b) « Lundi » est corrigé en « vendredi ».