Guernesey 1er mai [18]73, jeudi matin, 7 h. 40 m.
Je ne sais qu’augurer de ta nuit, mon grand adoré, d’après le grand écart entre ton lever d’hier et celui d’aujourd’hui ; dans le doute je tiens la joie de t’avoir vu tout à l’heure entre le zist d’un pionçage à fond et le zest d’une insomnie probable. Tant que tu ne seras pas parvenu à discipliner ton sommeil, dans une moyenne raisonnable de six à sept heures, tes nuits se passeront en soubresauts, tantôt bonnes, tantôt mauvaises comme celles que tu as depuis déjà longtemps. Ces réflexions, dignes de la Palice, outre qu’elles te sont inutiles, te sont parfaitement embêtantes, je le crains, aussi je m’arrête court pour m’occuper de mes comptes du mois d’avril. Ton gaz n’est pas encore venu se faire payer chez moi mais j’ai mis l’argent de côté d’avance.
Si j’osais je te ferais souvenir de ta promesse de lecture au risque de t’en faire une scie jusqu’à ce que tu te sois exécuté. Peut-être vaut-il mieux te laisser libre de me donner ce bonheur à ton temps et à ton heure. Tout ce que je me permets c’est de désirer que ce soit le plus tôt possible. Je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16394, f. 120
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette