Jersey, 20 janvier 1854, vendredi après-midi, 4 h.
Cher adoré bien-aimé, j’essuie avec ce que j’ai de plus doux dans l’âme les éclaboussures que ce jeune fou vient de jeter sur tes pieds vénérables comme autrefois Madeleine essuyait avec ses longs cheveux les divins pieds de son Christ bien-aimé. C’est votre sort éternel à vous tous, sublimes messies que l’ingratitude des uns, la calomnie des autres, les injures de l’ignorance, la couronne d’épines, l’éponge de fiel et le coup de lance. Ce n’est qu’à cette condition que l’humanité accepte vos vérités, les pratique et en fait sa religion quand votre sacrifice est consommé. Tu ne peux pas échapper à ta double mission de prophète et de martyr, mon pauvre grand dévoué. Il faut te résigner à ton douloureux calvaire comme ton divin aîné Jésus, et te laisser adorer par moi pendant ta longue et lamentable PASSION. Mon cœur, mon âme, mes pensées se font amour et parfum et je les répands devant toi que j’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 32-33
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Chantal Brière
[Guimbaud]