22 février [1847], lundi matin, 10 h.
Bonjour mon Toto aimé, bonjour mon cher amour béni, bonjour. Je te baise depuis un bout jusqu’à l’autre, depuis tes beaux cheveux jusqu’à ton petit pied en passant par le chemin des écoliers et en m’arrêtant à toutes les stations.
M’avez-vous tenu parole, mon cher petit homme ? Avez-vous bien pensé à moi ? M’avez-vous bien regrettée et bien désirée ? Moi je vous ai désiré, aimé et adoré sans interruption. J’ai relu tout mon Livre rouge [1] et toutes les lettres qui étaient dedans et puis je me suis endormie en pensant à toi. J’ai rêvé de toi et ce matin je te raconte toute ma vie depuis le moment où tu m’as quittée.
M. Vilain est venu un moment me voir avant d’aller chez toi. Ce matin Eulalie est arrivée. Te voilà sûr d’avoir ta chaussette arrangée pour mercredi. Et moi qui comptais sur le carême pour me rabibocher des jours gras qui ont été pour moi des jours maigres. Il paraît que je n’aurai pas plus de chance qu’avant et que les bals, les bastringues [2], les raouts, les cohues, les soirées et les ripailles, loin d’avoir été enterrés avec le mardi gras, sont revenus à la vie le mercredi des cendres ? Merci. Alors qu’est-ce que j’aurai moi à la fin de l’année si cela continue comme cela ? Je m’insurge et je pousse d’affreux cris et je m’enrôle dans Le National [3] pour démolir toute cette aristocratie fossile sans cœur et sans [gégier ?], mais non pas sans ventre et sans entrailles. J’ai déjà plus de la moitié du talent qu’il faut pour cela. Prenez garde à vous Monsieur le Vicomte Toto, Pair de France, Commandeur de l’ordre du soleil et autres astres polaires. Juju vous guigne [4].
BnF, Mss, NAF 16365, f. 45-46
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
22 février [1847], lundi soir, 6 h. ¾
Comment te remercier, mon bien-aimé, que te dire pour t’exprimer tout ce qui vibre et chante en moi, des hymnes d’amour et d’adoration, de reconnaissance et d’admiration ? Chaque jour, chaque heure, ce sont de nouveaux sujets de t’aimer, de t’admirer et de te bénir : « d’abord je t’ai vu bon et puis je te vois grand, mon Dieu c’est à cela qu’une femme se prend. » [5]
Oh ! oui, c’est bien à cela qu’une femme se prend. Je le sais bien, moi qui n’ai pas une goutte de sang qui ne t’appartienne par la reconnaissance et par l’amour le plus tendre et le plus passionné qu’il y ait au monde. À peine ai-je eu le temps de comprendre une de tes gracieuses générositésa qu’il en vient une autre et toujours ainsi. Mon âme en est toute chargée, comme cet arbre charmant qui porte tout à la fois le fruit mûr et la fleur. Je t’aime, ô je t’aime, je t’aime. J’ai le cœur plein de battements joyeux, j’ai l’esprit plein de tes rayons, ma pensée a des ailes et va d’un souvenir à l’autre comme un oiseau heureux va de branche en branche. Je te bénis, je t’aime, je t’adore. Je vois Dieu dans ta bonté inépuisable, dans ta beauté toujours radieuse et dans ton génie toujours sublime et divin. Je te dis toutes ces choses dans une sorte de délire de l’âme au risque de faire dévier [les mots ?] et les idées de leur chemin ordinaire. [Tant pis ?].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16365, f. 47-48
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « générosité ».