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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 9 octobre 1854, lundi après midi, 3 h. ½

Cher adoré, je reprends possession de ma chère petite Restitus que j’avais été forcée d’abandonner pendant tous mes arias de déménagement, à mon grand regret [1]. Maintenant, mon pauvre petit homme, vous n’avez qu’à vous bien tenir car je vais vous écraser sous mes élucubrations quotidiennes sans aucune espèce de discrétion. D’abord comment va votre pauvre genoua éclopéb ? Il faudra que nous le voyionsc ensemble ce soir et que nous lui fassions un petit pansement à sec. En attendant nous n’en avonsd pas moins passé une ravissante journée hier remplie de soleil, de bonheur et d’amour. Il y avait fête pour les yeux, pour le cœur et pour l’âme au milieu de cette splendide et sublime nature, avec ces excellents Asplet [2]e et toi mon doux adoré, illuminant toute cette joie comme un second soleil. Dans ma reconnaissance envers ce bon Philippe, un des principaux collaborateurs de cette aimable journée, j’aurais voulu pouvoir lui donner le précieux manuscrit [3] qu’il convoite avec une persistance passionnée, sous toutes les formes et à toute occasion. Mais, outre l’impossibilité pour moi de me séparer d’un seul des autographes que tu m’as donnés, il y a l’empêchement radical de la donationf personnelle que tu m’en as faite en temps et lieu. Chacune de ces précieuses lignes sert de memorandum, non seulement de ta munificenceg courtoise envers moi, mais, encore et surtout, de consécration de notre amour mutuel et heureux date par date. Aussi, mon cher adoré, il n’y a aucun moyen que je puisse m’en séparer autrement que par la mort. Il serait juste, cependant, que ce pauvre dévot Asplet eût une de tes reliques à adorer en ton absence. Est-ce que tu ne pourrais pas lui en trouver une parmi tes sacrés bibelots manuscrits. Tu n’as pas les mêmes raisons que moi d’y tenir comme à ta vie et tu ferais deux heureux d’un coup, le brave Asplet et moi qui me sens insolvable envers lui tant que tu n’auras pas acquitté ma dette. Allons, mon petit Toto, un peu de courage à la plume et donnez à cet excellent être qui t’admire et qui t’aime tant ce qui peut lui faire le plus grand bonheur. Je ne vous en aimerai pas plus mais j’en serai bien heureuse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 329-330
Transcription de Chantal Brière

a) « genoux ».
b) « écloppé ».
c) « voyons ».
d) « n’avons ».
e) « Asplets ».
f) « donnation ».
g) « mugnificence ».

Notes

[1Depuis le 1er octobre, date de sa dernière lettre, Juliette, qui habitait à l’Inn Richland au Hâvre-des-Pas, a déménagé pour Plaisance-Terrace, près de l’église Saint-Luc. En décembre elle sera contrainte de déménager de nouveau, à la « Maison du Heaume », au Hâvre-des-Pas.

[2Les frères Charles Asplet et Philippe Asplet sont des amis de Hugo.

[3Philippe Asplet, dont le frère Charles est hugolâtre, réclame aussi parfois à Juliette un document autographe de Hugo comme une relique précieuse, mais Juliette n’ose elle-même se départir de tout écrit du grand homme.

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