Jersey, 1er septembre [1854], vendredi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon cher petit Toto, bonjour, mon pauvre amour trop adoré, bonjour. J’ai répondu à votre cher petit bonsoir hier à 11 h. par un bon gros baiser que je vous ai envoyé à travers ma vitre. J’ai supposé que c’était pour moi que vous éleviez la voix en passant près de ma maison et mon cœur a battu de reconnaissance et de bonheur. J’ai rallumé immédiatement ma bougie et j’ai constaté qu’il était onze heures juste. Pauvre cher petit obligeant, c’est pousser un peu loin la courtoisie d’un service rendu que d’attendre jusqu’à près de minuit pour dîner. Un tour de force que tu fais faire à tout propos à ton estomac peut finir un jour ou l’autre par une effroyable gastrite dont tu ne pourras plus te débarrassera. Il me semble que, pour risquer ta santé à ce point, il faudrait que ce fûtb pour des choses après tout plus importantes que les expériences de baragouinsc plus ou moins ratées du citoyen Allix [1]. Après cela si cela t’amuse beaucoup tu feras bien de n’en pas perdre une seule occasion mais alors tu feras mieux en dînant d’avance. Voilà, mon cher petit homme, ce que ma sollicitude grognarde et grognonne vous conseille. Je viens de recevoir une lettre de Brest. Il paraît que mon neveu vient d’échouer à Quimper dans son examen de bachelier au grand étonnement des professeurs de son collège et de ses camarades de classes qui s’attendaient d’après ses études et ses succès à un autre résultat. Il paraît du reste qu’on a favorisé le collège communal de Saint Pol de Léon tenu par des prêtres au détriment des autres collèges. Le plus triste de tout cela c’est une année perdue pour ce pauvre garçon et un surcroît de dépense pour les parents qui ne sont rien moins que riches. Enfin tout cela aussi démontre la nécessité de flanquer à bas toutes ces étagères d’empire, d’université, de clergé et autres drogues dont ce [pieux pays est encombré ?] [2]. Sur ce, mon cher amour, je te baise à deux genoux.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 279-280
Transcription de Chantal Brière
a) « débarasser ».
b) « fut ».
c) baragoins ».