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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 mai 1838

4 mai [1838], vendredi midi

Merci mon amour, c’est bien bon et bien généreux à toi de t’être vengé par une ravissante petite lettre de trop d’amour que j’ai pour toi [1]. Merci tu es adorable et c’est ainsi que je t’aime. Je veux dire que je t’adore quand même et non pas seulement quand tu mérites de l’être. Si vous étiez venu ce matin vous auriez vu l’effet des deux [lampes  ? coupes  ?] et du vase, c’est merveilleux. Je ne connais que votre lettre à qui je donne la préférence et que vous à qui je donne la préférence sur votre lettre. Je vous aime. Je t’aime. Je voudrais donner ma vie pour toi, c’est bien vrai et bien doux. Vous voyez mon Toto que si votre ciel est bleu, le mien n’est pas noir et que si vous m’aimez, je vous adore. Il fait bien beau aujourd’hui. Si nous pouvions passer la journée à la campagne sous les arbres, ce serait charmant. Mais nous sommes trop pauvres et nous resterons chez nous, moi du moins car vous mon petit homme vous avez le privilège du juif errant, vous marchez toujours. Je suis triste en pensant que notre bonheur de cette année nous manquera. Comment ferai-je pour supporter cette cruellea privation après le rude hiver que nous venons de passer où nous nous sommes à peine vus. En vérité, je ne sais pas comment je ferai. Si tu voulais, mon amour, nous pourrions nous donner quelques jours de bonheur ne fût-ceb que huit jours, cela vaudrait mieux que rien surtout pour moi qui suis si affamée du bonheur d’être avec toi tout à fait, avec toi sans rien entre nous ni importuns, ni affaires, ni nuits, ni jours, être tout à toi et toi tout à moi. Oh ! Je donnerais tout pour cela. Si tu voulais les 10 F. que tu destines à ma fête, nous les emploierions à ce bouquet-là et jamais tu ne m’en aurais donné un plus beau, plus suave et plus parfumé car je te regarderais, car je t’entendrais, car je te respirerais. Veux-tu, dis ? Oh ! Ne me refuse pas ? Ce serait si doux ! Oh ! J’ai faim et soif de bonheur ! Jamais je ne t’ai plus aimé ni plus désiré qu’à présent mon adoré. Je t’attends. J’ai déjà baisé ta lettre sur tous les mots c’est ton tour maintenant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16334, f. 108-109
Transcription d’Hélène Hôte assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]

a) « cruele ».
b) « fussent ».


4 mai [1838], vendredi soir, 8 h. ¾

Mon cher bien-aimé, sens-tu que je t’aime ? Sens-tu que je ne te trompe pas ? Sens-tu qu’il n’y a rien entre nos deux âmes que de l’amour ? Sens-tu que tu es ma vie, mon bien, mon sang, mon âme ? Sens-tu tout cela, dis ? Alors tu es dans le vrai et je suis bien heureuse. J’ai trouvé Mme Pierceau en train de dîner avec Mme Triger. J’ai fait chorus avec elles tandis que ma pensée te suivait et dévorait tous tes pas pour mettre plus sûrement mon baiser où tes pieds avaient touché. Depuis ce matin je t’attendais, mon bien-aimé, pour te faire ma profession de foi, pour te dire toutes mes joies et tout mon bonheur en recevant ta chère petite lettre. Aussi mon cher amour j’étais au désespoir quand tu as donné une autre direction à des tendresses qui ne demandaienta qu’à se répandre sur tes cheveux, sur tes yeux adorés et sur ta belle bouche rose et blanche. Enfin c’est passé, nous sommes heureux, n’est-ce pas mon adoré ? Car tu es bien sûr que je te trompe pas. J’ai hâte de te revoir, mon petit homme pour rattraper le temps perdu. C’est que j’ai tant et tant d’amour, tant et tant de caresses à te donner que si tu tardes encore quelque temps je ne saurai pas où les mettre. Je serai forcée d’ouvrir toutes les fenêtres et de leur donner la volée. Ainsi ne t’étonne pas sib tu les vois s’abattre sur ton chapeau, dans ta cravatec, dans tes poches et ailleurs. Ne les effarouche pas et reçois-les comme de bons petits amis de connaissances et bien aimés. Quand donc mon petit homme me donnerez-vous de la viande ? Je veux pourtant bien de vous, ainsi il faut m’en donner et bien vite. Vous êtes mon Toto et je vous adore. Je vous désire de toutes mes forces. Je vous attends de tout mon cœur. Vous voyez bien que c’est le moment d’arriver. Mon cher petit homme, si tu veux nous nous en irons à pied ce soir, ce sera très bon et très gentil. Et puis je vous porterai dans mes bras parce que vous êtes très petit et très i. Je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16334, f. 110-111
Transcription d’Hélène Hôte assistée de Florence Naugrette

a) « demandait ».
b) « s’il ».
c) « cravatte ».

Notes

[1La lettre que Hugo lui a écrite le jour même commence ainsi : « Tu ne m’écriras pas ce soir, dis-tu, eh bien ! moi, je t’écrirai. Je suis déterminé à te contrarier de tout point ; tu te fâches, je te sourirai ; tu me grondes, je te caresserai ; tu me détestes, je t’aimerai. » Elle se termine pas ces mots : « Venez ici, mademoiselle, je baise vos beaux yeux en colère et votre belle bouche boudeuse. — Et maintenant, je suis vengé ! — Je t’adore, mon pauvre ange. Voilà le vrai. Tu le vois bien, n’est-ce pas ? À tout à l’heure ! » (CFL, t. V, p. 1251).

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