Paris, 24 juillet [1880], samedi matin, 8 h.
Pas brillante, ma nuit, mon cher grand homme, mais je compte sur la vôtre pour me remettre en goût de la vie, lequel me manque absolument ce matin. Je trouve à la première distribution d’aujourd’hui une lettre du sénateur Leblond qui t’envoie le programme de la fête, est-ce une fête ? n’importe, de la chose que tu dois présider dimanche. Il t’envoie une notice détaillée de ce qui a été fait depuis la fondation [1] en 1866 jusqu’à aujourd’hui et ce qu’on compte y faire à l’avenir. On te prie de dépasser de moitié les cinq minutes de ton speech. Enfin Leblond viendra en causer avec toi d’ici à dimanche. Autre guitare, une lettre des Éditeurs Charavay [2], lesquels publient un album très choisi en vers et en prose et ils te demandent le fameux sonnet publié en catimini dans la revue de Blémont en 1871 « Ave, dea, te moriturus salutat » [3].Le sublime misérable qui a écrit cela et celle à qui il l’a adressé se portant à merveille car rien n’engraisse et n’entretient le corps et l’âme comme la trahison. Le mal n’est que pour les imbéciles d’amour et de bonne foi, ce qui explique pourquoi je suis si malade de corps, d’esprit et de cœur ce matin.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 200
Transcription d’Emma Antraygues et Claire Josselin