Paris, 1er janvier 1880, jeudi matin, 8 h.
Cher bien aimé, je te souhaite à cette heure tout ce que tu m’as déjà souhaité à moi-même dans ton adorable petite lettre d’hier. Les dernières épreuves douloureuses de la vie ne nous sont point épargnées dans nos derniers jours, à moi, surtout, qui avait mis tout mon bonheur en ton amour. Qu’est-ce que ta déception comparée à la mienne ? J’espère que cette pauvre femme guérira ; je le désire pour toi et pour elle ; je le demande à Dieu, en qui je crois, et j’associe à ma prière toutes nos chères âmes afin qu’elles obtiennent tout ce qui peut te rendre heureux dans cette vie. [1]
Je serais bien heureuse tout à l’heure d’apprendre que tu as passé une bonne nuit. Cette nuit j’ai cru entendre frapper à ma porte je me suis précipitée hors du lit en demandant : qui est là ? plusieurs fois répétés et à haute voix. Personne n’a répondu. J’ai interrogé Célanie qui m’a dit n’avoir rien entendu, ce qui m’a décidé à ne pas ouvrir ma porte dans la crainte de trouver quelque malfaiteur mais je n’ai pas pu me rendormir. Il était deux heures et demie du matin. Tu m’as demandé de te remettre sous les yeux la listes des étrennes de la maison. La voici. J’y ajoute à la fin les étrennes des petits Koch [2] 40 F. Voilà, mon cher petit homme, le relevé que j’ai fait dans mes livres des dépenses à la hâte car j’ai beaucoup à faire ce matin. J’aurais voulu ne rien mêler à cette lettre toute de tendresse, d’espérance et d’amour mais j’y suis forcée puisque je suis seule à m’occuper de ta maison. Je vais aller tout à l’heure t’embrasser et savoir comment tu as passé la nuit, te donner tes œufs [3] et te faire faire du feu. Pardonne-moi cet imbroglio de ménage et de tendresse. Souris-moi et bénis-moi comme je te souris et comme je te bénis et confions-nous à Dieu pour qu’il nousa pardonne toutes nos fautes envers lui ainsi que celles que nous avons commises envers nous-mêmes.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 2-3
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin
a) « pour qu’il nous pour qu’il nous ».