21 juin [1848], mercredi, 3 h. ½, après-midi
C’était aujourd’hui un jour bien triste pour moi, mon pauvre bien-aimé, et j’en ai fait porter le deuil à mon amour en refusant d’aller avec toi tantôt. Je ne sais pas pourquoi il semble que ces pauvres chers êtres de l’autre monde nous sauraient mauvais gré d’associer leursa doux et tristes souvenirs aux choses de ce monde [1]. Du moins voilà l’illusion que je me fais à de certains moments de l’année plus particulièrement. Il m’en a coûté de refuser ta bonne et tendre proposition et pourtant je m’en serais voulu si je l’avais acceptée. Il est vrai que je m’en suis dédommagéeb le plus que j’ai pu en relisant ton admirable discours deux fois de suite [2]. Quelles belles choses et que de bonnes choses tu as montrées là à ces espèces d’ours mal léchés. Pourvu qu’ils en profitent et qu’ils se hâtent de les appliquer à ce pauvre peuple qui souffre et qui rage. Mon Victor adoré, quand je pense à l’homme que tu es, je ne comprends pas que j’aie l’audace de toucher seulement le bout de ton pied. Moi, quand je regarde dans mon cœur, je suis étonnée que tu ne m’aimes pas à deux genoux. Tu es le plus grand et le plus sublime des hommes, mais moi je suis la femme qui t’aime le plus.
Juliette
Leeds, BC MS 19c, Drouet/1848/34
Transcription de Joëlle Roubine
a) « leur ».
b) « dédommagé ».
21 juin [1848], mercredi soir, 10 [ ?]h.
Je voulais rester enfermée dans mon deuil aujourd’hui, mais le bon Dieu ne l’a pas voulu car il m’a envoyé tantôt ce pauvre Auguste [3] le séminariste qu’on avait fait venir exprès de Versailles pour lui apprendre la bonne nouvelle et pour te remercier. Puis encore ce soir, Mme Guérard et M. Cacheux qui venaient me faire part de leur admiration et de leur enthousiasme à propos de ton sublime discours qu’ils avaient lu dans le Journal des débats. Justement te voici, quel bonheur.
Leeds, BC MS 19c, Drouet/1848/35
Transcription de Joëlle Roubine