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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 avril [1847], samedi soir, 9 h. ¼

Que je vous y prenne encore, vilain monstre, à me faire faire de la RÉDACTION. Dorénavant je tournerai ma langue 15 fois avant de dire un mot et je fermerai les yeux pour ne rien voir afin de n’être pas EXPLOITÉE par vous. Quand je pense que voilà une heure et plus que je griffouille je ne sais quoi, je suis enragée. Décidément je sais moins écrire que jamais. Je suis capable de devenir muette pour ne plus être exposée à ce hideux supplicea d’écrire ce que j’ai dit. Merci, ça n’est pas assez drôle, j’aime mieux le Syrien [1]. J’aime mieux Monte-Fiasco [2], Bruno [3] et autre Biche au bois [4] que ce hideux métier d’écrivaine publique. Dans ce moment-ci je suis rouge comme un coq et j’en ai la fureur. Quelleb horreur ! Encore si ça m’était payé, mais écrire à l’ŒIL, merci c’est trop bon, merci. J’aimerais mieux aller à VIOQUE à la LORCEFÉ et être NIQUE de mèche avec tous les AMIS. Au moins il y aurait plus de profit et je pourrais rouler sur du [CARL  ?] et POISSER DES PHILIPPESc à mort. J’aime mieux tout que d’être votre PITRE. Une fois pour toute, je ne veux pas être votre LARGUE à ce prix-là [5].
Vrai je suis exaspérée. Ce soir surtout, je ne sais pas à quoi cela tient mais je suis encrophobe, pour un rien je jetterais toute la mécanique dans le feu afin de ne plus entendre ce petit bruit agaçant de la plume sur le papier. Quand je pense que les quelques minutes que tu me donnes sont employées à cet exercice, je suis capable de te souhaiter un goitre, un cerveau de crétin, une imagination d’huître. Tu vois bien, mon Toto, que je suis exaspérée et qu’il serait dangereux de m’approcher dans ce moment avec une rame de Weinen [6], une bouteille de petitesd vertes, des plumes d’… académiciens et de la poudre, fût-elle faite avec la plus ravissante des SCIESe. Baisez-moi, scélérat, et ne vous frottez plus sinon il vous en COÛTERA cher.

Leeds, BC MS 19c Drouet/1847/21
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « suplice ».
b) « Quel ».
c) « PHILIPPE ».
d) « petite ».
e) « SCIE ».

Notes

[1À élucider. Référence au chant Partant pour la Syrie ou Le beau Dunois, de Hortense de Beauharnais (musique) et du Comte Alexandre de Laborde (paroles), 1807, qui connut un immense succès populaire sous le Premier Empire, pendant la Restauration puis sous le Second Empire comme hymne national non officiel ?

[2Juste après la publication du Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas et Auguste Maquet préparent une adaptation pour l’inauguration de la nouvelle salle de spectacle de Dumas, le Théâtre-historique (inaugurée finalement avec La Reine Margot le 21 février 1847). Entre-temps, des pastiches parodient la difficulté de l’entreprise, dont Le Comte de Montéfiasco ou la répétition générale d’un drame en 30 actes et 100 tableaux par Deforges et Clairville, créé à la Porte-Saint-Martin le 3 avril 1847. Et en effet, il faudra à Dumas et Maquet quatre drames en 5 actes chacun et 37 tableaux joués en deux fois deux « soirées » à trois ans d’intervalle, les 3 et 4 février 1848 d’abord, au Théâtre-Historique, puis les 1er avril et 8 mai 1851 ensuite, à l’Ambigu-Comique, Dumas ayant dû fermer son théâtre le 16 octobre précédent.

[3Bruno le fileur : comédie-vaudeville en deux actes des frères Cogniard, créée au Palais-Royal le 31 août 1837.

[4La Biche au bois ou le royaume des fées est un vaudeville-féerie en 4 actes et 16 tableaux par les frères Cogniard, représenté pour la première fois au Théâtre de la Porte Saint-Martin le 29 mars 1845.

[5De nombreux mots d’argot sont employés dans ce paragraphe : « la lorcefé » désigne la Prison de la Force ou une prison en général ; « être nique de mèche » veut dire ne pas être complice ; « poisser des philippes » signifie voler de l’argent ; « une largue » est une maîtresse ou une femme publique.

[6Pour wein, « vin » en allemand, ou weine au pluriel.

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