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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 juin 1849

13 juin [1849], mercredi matin, 6 h. ½

Bonjour, mon petit homme adoré, bonjour, mon amour, bonjour. Je ne demande pas ce qui a pu t’empêcher de venir me voir hier chez Eugénie. J’aurais plus tôt fait de te demander ce qui aurait pu t’y faire venir ? Du reste je m’y attendais, ce qui ne m’a pas empêchée d’en être triste et maussade. J’étais chez Eugénie à 5 h. ¼ et j’en suis sortie à 9 h. Nous sommes allées voir chemin faisant le campement des troupes dans le vestibule de l’embarcadère du chemin de fer du Nord dans la prévision d’émeutes et de coups de fusils pour aujourd’hui. De là je suis rentrée chez moi et je ne me suis couchée qu’à onze heures dans l’espérance, peu probable, que tu viendrais à 11 h. ½. Ma Suzanne est arrivée ayant bien mis le temps à profit. Son frère paraît devoir s’en aller bien décidément ce matin, ce dont je ne suis pas absolument fâchée, non seulement au point de vue de l’égoïsme, mais encore de la prudence pour ce pauvre paysan peu habitué à l’air de Paris et au choléra [1]. Et à ce sujet je te dirai que mon pauvre portier de la rue Sainte-Anastase [2], celui qui t’a fait tes souliers, est mort dimanche dernier en 4 h. de temps. Outre que c’était un honnête homme, c’était un excellent mari. Je n’ai jamais vu un jeune ménage plus charmant et plus heureux. On dit que sa femme est dans un état affreux. Ce que je comprends de reste, pauvre femme. Mon Victor adoré, mon amour béni, sois prudent, pense à moi dont tu es la vie et l’âme.

Juliette

BC MS 19c Drouet/1849/47
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette


13 juin [1849], mercredi matin

J’ai beau vouloir me tranquilliser et forcer ma pensée à se tourner vers la confiance, je n’en viens pas à bout. Je me tourmente et je m’agite avec toutes sortes de mauvaises suppositions. Vraiment, mon adoré, ce serait un acte de charité à toi de ne pas me laisser si longtempsa sans nouvelle tout le temps que durera cet affreux choléra [3]. Si je ne craignais pas d’oser la présence de Suzanne chez toi j’y aurais déjà envoyé. Mais quel prétexte prendre et quel nom prendre en informations ? Voilà ce qui m’embarrasse. Pendant ce temps-là mon inquiétude va son train et à l’heure qu’il est je ne peux plus tenir en place tant je suis tourmentée. Je me dis tout ce qu’on peut se dire : que tu te portais bien hier, que tu es d’une bonne santé, que tu suis un bon régime et surtout, par-dessusb tout, que le bon Dieu a trop besoin de tes services sur cette terre désolée par toutes les calamités et toutes les perversités pour se priver volontairement de son plus admirable et plus sublime instrument de civilisation et de pacificationc. Mais tout cela ne me rassure pas assez. La vue de ton doux et noble visage, un baiser de ta ravissante bouche me tranquilliseraient plus que tous les plus beaux raisonnements. Tu serais donc mille fois bon et bien inspiré, mon adoré, si tu venais me voir, ne fût-ced que le temps de te montrer avant l’heure d’aller à l’Assemblée [4]. Si tu savais quel soulagement tu me causerais, tu quitterais tout ce que tu fais en ce moment pour venir m’apporter la joie et le bonheur de te savoir bien portant. En attendant je tâche de prendre courage et patience, mais l’inquiétude l’emporte.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/48
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

a) « long-temps ».
b) « pardessus ».
c) « pacifiquation ».
d) « fusse ».

Notes

[1Depuis le début du mois de mars 1849, une épidémie de choléra touche la France. Elle durera jusqu’en septembre 1849 et fera plus de seize mille morts.

[2Juliette Drouet a quitté la rue Sainte-Anastase pour la cité Rodier en novembre 1848, pour se rapprocher de Victor Hugo qui a quitté la place Royale pour la rue d’Isly le 1er juillet 1848, puis pour la rue de la Tour-d’Auvergne, sur la colline de Montmartre, le 15 octobre 1848.

[3Depuis le début du mois de mars 1849, une épidémie de choléra touche la France. Elle durera jusqu’en septembre 1849 et fera plus de seize mille morts.

[4Le 13 mai 1849, Victor Hugo a été élu à l’Assemblée législative.

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