28 novembre [1845], vendredi matin, 9 h. ½
Bonjour, mon Toto chéri, bonjour, mon cher petit homme adoré, bonjour, mon cher amour, comment m’aimez-vous ce matin ? Moi je vous aime, je vous aime, je vous aime et encore bien plus que ça, je vous adore. Cela ne m’empêche pas, comme Dagobert, d’avoir mis mon papier à l’enversa. C’est peut-être un CADEAU ? C’est peut-être un COROMANDEL [1] éblouissant qui chemine à l’horizon et qui m’est destiné ? Voime, voime, prends garde de le perdre, ma pauvre Chichi [2] et déménage ton armoire bien vite pour le donner à Monsieur Toto. Taisez-vous, vilain filou, vous ne savez que me prendre tous mes coromandels et autres guipures. Vous êtes un scélérat fieffé. Baisez-moi au moins pour la peine et ne me laissez pas me morfondre à vous attendre depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre. Encore si vous me lisiez vos belles choses, il y aurait compensation, mais tous ces privilèges ne sont plus pour moi. Vous me traitez comme une étrangère stupide. Je ne ris plus maintenant, mon Victor adoré, parce que je sens vraiment la froideur et l’indifférence avec laquelle tu me traites et que je sais ne pas mériter. Si jamais tu reviens à m’aimer comme autrefois, tu seras bien fâché et bien honteux de ta conduite envers moi à présent.
BnF, Mss, NAF 16361, f. 187-188
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) Habituellement, la lettre de Juliette se présente comme un livret. Ici, les deux premières pages sont côte à côte, tout comme les deux dernières.
28 novembre [1845], vendredi soir, 5 h. ½
Je viens d’avoir la visite de Mme Guérard, mon Toto, et, comme c’est pour la troisième fois qu’elle vient sans que je lui donne rien, j’ai pris 10 francs dans le sac pour les lui donner. Du reste, elle te .......a te voilà !
7 h. ½
J’espère que le temps me donne de la tablature [3], comme aurait dit certain gendarme célèbre [4], vraiment il y a de quoi y gagner le paradis. Pauvre adoré, avec tout cela, tu peux te fatiguer outre mesure et je ne sais plus où en est ma gorge. J’espère encore, car il faut toujours espérer, que cet animal de lampiste a trouvé le vrai remède et qu’elle ne filera plus. Et puis comme c’est spirituel tout ce que je te dis là. Non seulement tu es asphyxiéb par cette abominable lampe chez moi, mais tu l’es encore chez toi par mes ragots et mes doléances, ce qui ne laisse pas que d’être charmant. Mon Toto chéri, laissons là mes infortunes domestiques qui ne seront jamais très drôles, quoi que je fasse.
Quand me donneras-tu à copier ? J’ai bien faim et bien soif de votre chère petite écriture, mon Toto, et je crois même que je suis capable de tout pour en arriver à en grignoterc un petit bout. Dépêchez-vous donc de m’en donner si vous ne voulez pas que j’en vole [5]. En attendant, je vous baise bien fort à travers votre cher petit museau graissé.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16361, f. 189-190
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) Sept points interrompent la rédaction de la lettre.
b) « tu es asphixié ».
c) « grignotter ».