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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 novembre [1845], jeudi matin, 9 h. ¾

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, mon adoré petit Toto, bonjour, comment que ça va ce matin ? M’aimes-tu ? Ta pauvre petite bouche est-elle toujours fiévreuse ? As-tu fait une bonne nuit au moins ? T’es-tu couché en rentrant cette nuit ? J’ai bien peur que non. Tu n’es pas homme à céder à la première sommation de la fatigue et de la fièvre. Il faut que tu sois malade tout à fait pour te résigner à prendre du repos. Tout cela est très courageux mais n’est pas du tout raisonnable. Si j’avais quelque empirea sur toi, tu écouterais mes prières et tu ne ferais pas sans cesse des imprudences. Mon Victor adoré, mon petit bien-aimé, mon pauvre petit homme, je te rabâche toutes sortes de bons conseils qui n’avancent à rien. Le meilleur et le premier de tous serait que tu n’aies rien à faire ni pour moi, ni pour les autres et Dieu sait si c’est possible. Cependant, entre ces deux choses : ne rien faire et travailler nuit et jour, il y a, ce me semble, un juste milieu raisonnable que tu pourrais suivre et que tu ne suis pas. Et puis si je t’obsède, comme ce n’est que trop probable, pense que c’est par excès d’amour, par pitié et par peur que je le fais. Pardonne-moi, embrasse-moi et viens le plus tôt que tu pourras. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 183-184
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « quelqu’empire ».


27 novembre [1845], jeudi soir, 7 h.

Je n’ai même pas profité du pauvre petit moment de grâce que l’erreur d’une heure à l’autre te laissait. Pauvre adoré, quand donc seras-tu RICHE ? Je voudrais que ce fût tout de suite, sinon pour la RICHESSE en elle-même, du moins pour le loisir qu’elle te ferait. Oha, si cela était, je serais bien exigeante et je rattraperaisb furieusement le temps perdu qui NE SE RATTRAPEc JAMAIS, dit le proverbe. C’est égal, je ferais si bien des dents et du reste que je mangerais tout d’un coup un effroyable morceau de bonheur. Hélas ! jamais je ne serai mise à une pareille table. À force d’espérer, je suis comme la Philis de Molière [1], je désespère, trop heureuse quand je parviens après vingt-quatre heuresd d’impatience et d’ennui, à agripper par-ci, par-là quelques pauvres petites minutes de bonheur que je te vole malgré toi. Ce soir, par exemple, je me croirai bien favorisée du bon Dieu si tu viens avant minuit. D’ici là, je vais bien soupirer des fois et bien regarder ma pendule, bien penser à toi, bien te désirer et bien t’adorer. De ton côté, mon Victor adoré, tâche de venir le plus tôt que tu pourras. Je t’en remercierai par des torrents de baisers et d’amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 185-186
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « Ô ».
b) « je rattrapperais ».
c) « se rattrappe ».
d) « vingt-quatre heure ».

Notes

[1Référence au Misanthrope de Molière (1666). Dans l’acte premier, scène II, Oronte déclare : « S’il faut qu’une attente éternelle / Pousse à bout l’ardeur de mon zèle, / Le trépas sera mon recours. / Vos soins ne m’en peuvent distraire : / Belle Philis, on désespère, / Alors qu’on espère toujours. »

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