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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 septembre [1845], vendredi matin, 7 h. ¼

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, mon amour chéri, bonjour, mon âme, comment vas-tu ? Ton voyage s’est-il fait sans ennui et sans accidenta ? Penses-tu à moi ? M’aimes-tu ? Ô oui, j’en suis bien sûre. Il est impossible que tu ne répondes pas à l’amour sans borne que j’ai pour toi. Cher adoré, tu reviendras bien sûr aujourd’hui, n’est-ce pas ? Et tu viendras me voir en arrivant, n’est-ce pas ? J’y compte bien et c’est avec cette pensée que j’envisage sans trop d’effroi la longue journée qu’il y a entre ce moment-là et moi. En attendant, je vais ne penser qu’à toi et ne m’occuper que de toi. Ce sera une très bonne manière d’employer mon temps, n’est-ce pas, mon petit Toto chéri ?
Comprends-tu que cette Mme Marre ait eu le toupet de refuser un jour à ma fille sous prétexte de faire la classe à deux mioches de quatre et cinq ans. En vérité, c’est pousser un peu loin l’esprit de maîtresse de pension. Remarque qu’il y a dans la maison une sous-maîtresse d’ouvrage et de piano qui ne quitteb pas la maison. Enfin c’est fait, il n’y a pas à y revenir. Mais cela me met fort à mon aise pour l’avenir et au fond je n’en suis pas fâchée parce que Mme Marre [plusieurs mots illisibles].
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, je vous aime. Je viens de lire ma bonne petite lettre et je la lirai encore bien des fois avant ton retour. Hélas ! pourvu que tu reviennes ce soir ? Tu me l’as bien promis, mais les insistances et la présence de toute la famille réunie seront bien fortes pour te retenir. Je ne veux pas penser à cette possibilité. J’ai déjà bien trop d’avoir à attendre jusqu’à ce soir. Mon Victor adoré, pense à moi et reviens bien vite. Je t’aime, je te désire, je t’attends et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 238-239
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « sans accidents ».
b) « ne quittent ».


5 septembre [1845], vendredi après-midi, 1 h.

Je t’aime, mon Victor, je pense à toi, je suis avec toi. Je viens de relire ta bonne petite lettre adorée [1]. C’est la troisième fois depuis ce matin. J’ai une envie atroce d’aller au-devant de toi. Si j’étais sûre de te trouver à Rouen seul, je crois que je n’hésiterais pas, au risque de me faire donner des coups. Ça me serait bien égal d’être battue comme plâtre pourvu que je te voie une demi-journéea plus tôt. Si tu avais été bien gentil, tu m’aurais donné rendez-vous à Rouen devant la tour de beurre [2], mais vous n’avez pas le quart de l’amour que j’ai pour vous, sans cela vous l’auriez fait. Taisez-vous, Toto, ce n’est que trop vrai, taisez-vous. Je voudrais être à ce soir pour te voir. Pourvu que tu viennesb, mon Dieu, il me semble que tu ne me l’as pas assez promis. Voilà déjà la peur qui me galopec, mon Toto chéri, tu ne sauras jamais quel supplice c’est que d’attendre. Je ne crois pas qu’il y en ait de plus grand avec la jalousie. Encore si j’étais homme, je pourrais aller au-devant de toi. Mais il faut que je t’attende ici dans l’inaction sans pouvoir abréger mon supplice d’une seconde. C’est pour en mourir d’impatience. Cher adoré, mon Victor, mon doux bien-aimé, ne manque pas de venir ce soir, je t’en supplie à genoux. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 240-241
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « une demie journée ».
b) « tu vienne ».
c) « me galoppe ».


5 septembre [1845], vendredi soir, 6 h. ¼

La journée avance tant bien que mal et le plus lentement qu’elle peut, la scélérate, mais enfin elle avance. Maintenant il n’y a plus que la soirée, pourvu que tu viennes. Je n’ose pas prévoir la possibilité d’un retard parce que je sens que j’en ai déjà plus que je n’en peux porter de ton absence. Aussi je voudrais être à ce soir à minuit pour être sûre de t’avoir auprès de moi, pour te caresser et pour te baiser à cœur et à bouche que veux-tu. Je vais faire ton houblon tout à l’heure. Il aura le temps de se refroidir jusqu’au moment où tu l’emporteras. Je vais relire après mon dîner toutes les adorables petites lettres que tu m’as écrites depuis cinq semaines [3] et puis je me coucherai et je lirai le chinois de La Revue de l’Orient [4] et puis je serai bien triste et bien malheureuse si au bout de tout cela tu n’es pas venu. Je ne veux pas me porter malheur à l’avance. Je veux au contraire forcer le bonheur à venir à force de confiance et de sécurité. Hélas ! [illis.] plus facile à dire qu’à faire, et je voudrais bien t’y voir toi, pour savoir comment tu t’en tirerais. Mon Victor chéri, mon amour, mon Toto, je te supplie de venir ce soir et le plus tôt possible. J’espère qu’il ne te sera rien arrivé de mal et que ton pauvre cœur aura courageusement supporté ce triste et douloureux anniversaire [5]. J’ai bien prié le bon Dieu pour vous tous. Tu n’en doutesa pas, n’est-ce pas ? Cher adoré, tu es plus que la vie, tu es mon amour bien aimé. Je t’aime, je t’aime, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 242-243
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu n’en doute ».


5 septembre [1845], vendredi soir, 9 h. ½

Tu es bien près d’arriver, mon Toto bien-aimé, si tu dois venir ce soir, ce dont je ne serai sûre que lorsque je te tiendrai. Je te désire de toutes mes forces dans l’espoir que cela t’attirera et que tu ne pourras pas résister à l’attraction. L’heure approche, si j’en juge par celle où tu es venu l’autre soir. Dépêche-toi, mon Victor, dépêche-toi de venir, j’ai une soif ardente de toi. Il me semble que je ne t’ai pas vu depuis six mois. Louise [6] est venue tantôt me dire que son frère partait lundi et qu’il me demandait la permission de me faire ses adieux. Je lui ai dit de lui dire de venir dîner avec sa mère demain ou dimanche s’il le pouvait. Elle doit m’en avertir par un mot jeté à la poste. Quant à elle, je l’ai retenue à dîner avec moi ce soir. Elle est partie il y a une heure environ. J’ai t’y bien fait, mon maître ? Mon petit homme chéri, mon Victor, si tu viens ce soir, je serai la plus heureuse des femmes, mais si tu ne viens pas aussi, j’en serai la plus malheureuse et la plus triste. Je ne t’en voudrai pas, je croirai que tu as été retenu malgré toi mais je n’en serai pas plus contente. Tâche de venir. Folle que je suis, je te dis tout cela comme si tu pouvais entendre et régler ton retour sur les instances et les prières que je te fais. Je t’ai tout préparé pour ce soir. Ton houblon et ton eau pour les yeux. Tu vois que tu ne peux pas faire autrement que de venir.
Je viens de relire ta lettre à l’instant même et je n’y vois pas un seul mot qui me dise que tu reviendras ce soir. J’ai une peur affreuse que tu ne sois retenu à Villequier. Je ne serai tranquille que lorsque je te tiendrai. D’ici là, je ne pourrai pas m’empêcher de me tourmenter de toutes mes forces. Bonsoir, mon Victor, je t’attends et je t’aime plus que je ne peux dire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 244-245
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Victor Hugo a écrit à Juliette Drouet le jeudi 4 septembre 1845. La lettre est reproduite dans notre édition de la deuxième lettre de Juliette du 4 septembre 1845 (NAF 16360, f. 234-235).

[2Une des deux tours de la cathédrale de Rouen, ainsi nommée à cause de la couleur de sa pierre, ou parce que sa construction avait été financée par des aumônes compensant l’autorisation de ne pas faire maigre en carême.

[3Victor Hugo souffrant du bas-ventre durant plusieurs jours, il écrivit plusieurs lettres à Juliette alors qu’il était convalescent, du 4 au 13 août 1845. S’ajoutent à ces lettres, celle du 1er et du 4 septembre.

[4La Revue de l’Orient, bulletin de la Société orientale, est une revue mensuelle consacrée à la civilisation de tous les états de l’Orient ainsi qu’aux colonies françaises d’Afrique, d’Inde et d’Océanie. Elle fut fondée en 1843. Sa parution cesse en 1865.

[5Anniversaire de la mort de Léopoldine, morte noyée le 4 septembre 1843 à Villequier.

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