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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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31 mai [1845], après-midi, 5 h.

Cher bijou bien aimé, toute cette histoire de moignieau m’avait empêchée de t’écrire tantôt. Voilà à quoi servent les bonnes actions. Cela n’est pas très encourageant et je ne sais pas si je recommencerais au même prix cet acte de dévouement moigneautique. Jusqu’à présent, nous ne savons pas si tous nos efforts ont été couronnés de succès. Tout ce que nous savons, c’est que Fouyou apporte de minute en minute les cadavres de pauvres petits oiseaux tombés probablement de leur nid ou surpris par Fouyou au moment où ils essayent à voleter dans le gazon. Je ne sais pas si c’est la contrariété de voir ce nouveau massacre des innocents sans pouvoir l’empêcher qui m’a donné le mal de tête horrible que j’ai, mais j’en souffre beaucoup. Pourtant, toutes mes fenêtres sont ouvertesa et je me trémousse tant que je peux dans la maison pour me donner le plus d’exercice possible. Jusqu’à présent, cela ne me réussit guère.
La mère Lanvin a fait dire par sa fille qu’elle viendrait dîner avec moi aujourd’hui et qu’elle me rendrait elle-même la réponse à la lettre que je lui ai écrite au sujet de la bévue de Pradier et de M. Barrière [1]. Je lui ferai une triste mine s’il faut que mon mal de tête de diminue pas d’ici au dîner.
Mon Victor aimé, adoré, ravissant, je ne te parle que de mes infirmités au risque de te donner, par ennui, la migraine que j’ai sans motif. Je te demande pardon, mon bien-aimé adoré, je suis stupide à force de [ne pas] sortir. Si tu viens me chercher ce soir pour marcher, je t’assure que je ne refuserai pas, bien au contraire. Essaye et tu verras. D’ici là, il faut venir me baiser et me guérir. Cela vous est très facile. Vous n’avez qu’à venir et qu’à m’embrasser bien fort. Que je touche seulement le bord de votre lèvre et je serai guérie. Vous voyez que lorsque je souffre, c’est votre faute. Taisez-vous, méchant, c’est ce que vous avez de mieux à faire et venez bien vite. Jour, Toto, jour, mon cher petit o, quand donc vous verrai-je dans votre bel habit [2] ? Il faudrait, pour que cela puisse avoir lieu, me désigner d’avance le jour afin de prier Mme Triger de venir avec moi. Elle ne demandera pas mieux, mais encore faut-il qu’elle soit prévenue à l’avance. Cela me ferait bien plaisir. Ce qui m’en ferait encore davantage, ce serait de passer toute une journée en tête-à-tête avec toi. Hélas !…

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 243-244
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « son ouvertes ».

Notes

[1James Pradier avait écrit à M. Barrière, examinateur, pour l’examen de Claire, mais il avait recommandé sa fille au nom de Drouet et non au nom de Pradier, ce qui ne pouvait aider sa fille lors de l’examen, celle-ci étant inscrite au nom de Claire Pradier.

[2Les pairs de France portent un costume particulier : « un habit d’une coupe similaire à celui d’académicien, mais d’aspect plus austère : les parements se limitaient aux manchettes et au collet ; quant à l’épée, elle était toujours aussi sobre. » (Jean-Marc Hovasse, ouvrage cité, t. I, p. 953).

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