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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 mai 1845

15 mai [1845], jeudi matin, 9 h. ¼

Bonjour, mon petit Toto chéri, bonjour, mon amour bien-aimé, bonjour. Je suis furieuse contre moi. Je suis honteuse de ne pouvoir pas résister davantage au sommeil. Quand je pense que tu travailles toutes les nuits, je ne sais plus où me cacher. Il est vrai que tu n’as rien fait pour me réveiller tout à fait. Tu m’as dit trois ou quatre phrases à de longs intervalles et puis tu es parti sans écouter mes prières. Quand tu as été parti, je me suis réveillée de moi-même par le regret et la mauvaise humeur contre moi et je suis restée une partie de la nuit sans pouvoir me rendormir. Ce soir je ne veux pas faire comme cela. Je n’éteindrai pas ma lampe. Il est vrai que chaque fois que je prends cette précaution, elle me porte malheur et tu ne viens pas du tout. Je suis très embarrassée. De quelque façon que je m’arrange, tu ne viens pas ou si tu viens, je ne te vois pas, ce qui est encore pire. Je voudrais bien ne pas toujours grogner et me plaindre et cependant je n’en ai que trop sujet tous les jours. Voyons, je veux être aimable à la fin. Je veux vous sourire : souris-moi, porte-moi, BAISE-MOI. Ceci n’est pas français, à ce qu’il paraît, puisqu’il n’est pas dans votre dictionnaire académique. Eh bien ! ne me BAISEZ pas mais aimez-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 177-178
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


15 mai [1845], jeudi soir, 5 h. ¾

Cher petit homme bien-aimé, vous vous en tirez toujours très adroitement. Je ne dis pas à votre HONNEUR, mais fort SPIRITUELLEMENT. La pauvre Juju, qui est si BRAVE, MONTERA BIEN A L’ASSAUT CE SOIR. La pauvre Juju, qui est si douce, ne dira rien ce soir, SI SON TOTO lui tient le bec dans l’eau comme d’habitude. Elle est SI BRAVE, Juju. Elle est SI BÊTE, Juju, je voulais dire : BONNE, la plume m’a fourchée, qu’elle est capable de tout même de ne rien dire quand elle crève de dépit et de rage. C’est égal, mon cher petit espiègle, ne vous y fiez que médiocrement, à cette douceur angélique. Je vous assure, en ami, que rien n’est moins doux que LA DOUCE JUJU. A/É menta. Vous connaissez ce fameux rébus pour l’avoir inventé. Eh bien ! il est plus vrai que jamais. Méfiez-vous, méfie-toi, Toto, méfie-toi.
J’ai vu la mère Triger tantôt qui m’a tenue une heure et demie à me dire des billevesées insignifiantes. Enfin elle est partie, grâce à Dieu. C’est une excellente femme, mais qui n’est rien moins que drôle. Son fils est exempté de la conscription [1] à cause de ses nombreuses infirmités. Merci, elle est très heureuse de cela. Moi, j’en serais très vexée. Voilà comme chacun entend ses intérêts. Et puis je me fiche de tout ça et je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 179-180
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) Rébus signifiant « assurément ».

© Bibliothèque Nationale de France

Notes

[1Dès qu’ils ont atteint vingt ans, les jeunes hommes sont susceptibles d’être appelés à devenir soldat, par tirage au sort, et cela pendant cinq ans. Charles Hugo échappe également à la conscription.

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