Guernesey, 15 avril 1860, dimanche, 8 h. du matin.
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, que Dieu et mon amour soient avec toi à présent et toujours. J’espère que tu as passé une bonne nuit et que ta jambe ne te fait plus aucun mal et je m’en fais une joie ce matin. J’ai lu hier au soir quatre belles et touchantes lignes de Lamartine sur toi, mon grand adoré, et j’en suis encore touta émue malgré le voisinage du hideux Sainte-Beuve, ce vidangeur de toutes les gloires et de toutes les renommées, dont la couronne d’immondices exhaleb une odeur infecte capable d’asphyxierc tout ce qui l’entoure. Je me bouche le nez et je passe vite pour arriver jusqu’à tes pieds que je voudrais baiser sans interruption jusqu’à la dernière minute de ma vie. Je t’admire à travers mon amour, mon cher adoré, et je te vois beau, bon, grand et sublime dans tout ton être chef-d’œuvre de Dieu. À défaut d’esprit et de parole qui me manquent complètement, j’ai mon cœur et mon âme qui témoignent de leur adoration sans borne pour toi à tous les instants de ma vie. Tout ce que tu fais, tout ce que tu dis, tout ce que tu penses je le vois, je le comprends, je le sens à l’aide de mon amour attentif, dévoué et religieux.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 83
Transcription de Claire Villanueva
a) « toute ».
b) « exale ».
c) asphixier ».